En raison de leur dépendance au pétrole, les transports sont le plus gros émetteur de gaz à effet de serre en France (130,5 Mt CO² eq, 32% des émissions en 2022), et le seul secteur dont les émissions aient augmenté depuis 1990 (+5%) :
(source : chiffres clés énergie 2024)
Le développement du ferroviaire est identifié de longue date dans les différentes Stratégies Nationales Bas Carbone (SNBC) comme un levier de réduction des émissions des transports grâce au report modal vers un ferroviaire électrifié. Toutefois, la part du transport ferroviaire (voyageurs et fret) stagne à environ 10% depuis 2017.
La réussite de la transition du transport routier et aérien vers le ferroviaire dépend de plusieurs critères, dont l’attractivité des prix, la qualité de service et le maillage du territoire. L’ensemble des acteurs de la filière s’accordent pour reconnaitre que la fiabilité du réseau et le développement de ses infrastructures sont au cœur de la compétitivité du ferroviaire.
En ce sens, un plan d’investissement de 100 milliards d’euros d’ici 2040 a été annoncé en février 2023 par Elisabeth Borne, alors Première Ministre, puis confirmé en octobre 2024 par le ministre des transports. Ce plan est orienté autour de 2 axes principaux : moderniser les infrastructures existantes et développer de nouvelles offres ou de nouveaux usages, avec certains investissements déjà fléchés.
Ces priorités, portées par l’Etat sur recommandations de la SNCF et du Conseil d’Orientation des Infrastructures[1] font consensus auprès des acteurs de la filière et des organisations environnementales. Cependant, elles n’ont pas été déclinées, détaillées ou enrichies depuis leur annonce[2].
Pourquoi, malgré un alignement des acteurs sur les objectifs à atteindre, la mise en œuvre de ce plan d’investissement est complexe à concrétiser ?
La difficulté de sécuriser les montants nécessaires
Au vu des montants à engager dans ce plan d’investissement, différents financeurs devront être sollicités :
A titre d’exemple, le gouvernement s’est engagé à financer les 24 Services Express Régionaux Métropolitains (SERM) d’ores et déjà labellisés (délivrés par le ministère via une première vague de 15 projets, suivie d’une seconde de 9 projets)à hauteur de 700 M€ (15% du total). Afin de compléter ce financement, une conférence est prévue avec les collectivités, notamment Régions de France.
Cette conférence, ainsi que celle consacrée plus largement au financement des mobilités, organisée par le ministère des Transports début 2025, afin de consolider le financement de ce plan, illustrent le besoin d’une coordination entre de nombreuses parties prenantes pour sa mise en œuvre.
Une coordination pluridimensionnelle
La myriade d’acteurs du secteur et la complexité de leurs interactions constitue un autre écueil à la mise en œuvre du plan.
L’ouverture à la concurrence du fret et du transport de voyageurs depuis 2022, s’est traduite par l’arrivée d’opérateurs établis (Trenitalia, Renfe , Transdev…) sur certains sillons et par des projets d’émergence de nouveaux acteurs (Le Train, Proxima…). Le développement de nouvelles offres et de nouveaux usages devra donc se faire dans un écosystème complexe, encore en train de se structurer, et garantir l’équité de traitement des différents acteurs et le respect de la libre concurrence.
L’enjeu de coordination va au-delà de ces acteurs : financeurs, porteurs de projets, constructeurs, collectivités locales… tous devront être impliqués, à différents niveaux et à différent degrés sur des problématiques larges : sécurisation du foncier, programmation des travaux…
L’ampleur des projets induits par le plan d’investissement est un autre facteur de complexification de la coordination. Les processus et instances existants pour piloter la rénovation et la modernisation des infrastructures ne sont pas prévus pour traiter un tel volume d’affaires, réparties sur tout le territoire et impliquant autant différentes parties prenantes opérationnelles : les prestataires de travaux, les bureaux d’études, les fabricants de matériels…
Le besoin de création d’une structure propre à ce type de projet d’infrastructure est déjà reconnu, puisque la Société du Grand Paris, créée pour coordonner la construction de 200 km de nouvelles lignes en métropole parisienne, s’est réorganisée en Société des Grands Projets pour étendre son expertise aux autres métropoles et pour coordonner le développement des SERM.
Les travaux, de création comme de rénovation du réseau, seront réalisés à une échelle rarement connue en France ce qui soulève la question de leur faisabilité industrielle.
Des capacités industrielles à sécuriser
Relever ce défi industriel nécessitera de mobiliser l’ensemble de la chaine de valeur nécessaire à la réalisation des travaux, de la logistique à la qualification des matériels.
Il s’agira de sécuriser l’adéquation des capacités industriels avec les besoins. Deux leviers peuvent être actionnés : la diversification du panel de fournisseurs, qui permet par ailleurs de renforcer la résilience aux risques de contreparties, et le renforcement des relations avec les partenaires existants pour assurer la disponibilité des lignes de production ou inciter le développement de nouveaux capacitaires.
« Nous sommes actuellement confrontés à des enjeux de capacité [des partenaires industriels] pour la SNCF dans le développement de nouvelles offres. Dès la livraison des rames, nous pourrons étendre le réseau ferroviaire nocturne pour desservir le pays. », François Durovray, ministre des transports, audition par l’Assemblée Nationale le 22 octobre 2024.
Il faudra par ailleurs garantir un volume de main d’œuvre disposant des qualifications requises pour délivrer des projets industriels complexes, des études à la réalisation. La disponibilité d’un savoir-faire de pointe peut freiner la réalisation de grands travaux industriels, comme le démontrent les enjeux autour des compétences nécessaires à la construction de centrales nucléaires.
Enfin, au-delà de leur capacité à délivrer les travaux prévus dans le plan d’investissement, les acteurs devront également être en mesure de sécuriser dans la durée les compétences et matériels pour maintenir et exploiter le réseau.
La décarbonation des transports en France passera forcément par un report modal vers le ferroviaire et le développement de celui-ci, c’est une certitude partagée du secteur. Néanmoins, à l’heure actuelle la difficulté à coordonner l’ensemble des acteurs aux niveaux stratégique, financier et opérationnel empêche ce plan de se traduire concrètement. Pour éviter que ce dernier ne déraille quand il sera lancé, il sera nécessaire d’embarquer tout le monde dans le même wagon.
[1] Instance consultative placée auprès du ministre chargé des transports
[2] Hors montants déjà fléchés à l’annonce du plan (cf. infographie)