Covoiturage, auto-partage, transport public individuel…. de nouveaux modes de mobilité émergent et pourraient modifier notre rapport à la mobilité en général et à la voiture en particulier en introduisant de nouvelles formes de consommation : facturation à l’usage, simplicité d’utilisation, flexibilité grâce au recours massif aux technologies connectées, remise en question de la propriété, consommation collaborative…. Au-delà de la révolution technologique sur laquelle s’appuient tous ces services, ils participent à une transformation silencieuse de la consommation traditionnelle de l’automobile, au cœur de nos économies, en poussant notamment les conducteurs à passer de la possession à l’usage de l’automobile.

Un marché de l’automobile qui s’essouffle 

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Le secteur automobile français connaît une profonde mutation. Après une chute de 13,9% en 2012, le nombre d’immatriculations de véhicules neufs en France a atteint son niveau le plus bas depuis 15 ans. Les Français roulent moins, environ 12 000 km par an et gardent par conséquent leur voiture plus longtemps, 5 ans, contre 4 à la fin des années 90. L’âge moyen du parc automobile est ainsi passé de 6,8 ans en 1991 à 8,1 ans aujourd’hui. Au-delà des conséquences de la crise, il faut y voir un changement du rapport à l’automobile. Longtemps synonyme de réussite sociale, la voiture est aujourd’hui davantage perçue comme un mode de mobilité comme un autre et ses contraintes, notamment économiques, sont moins bien tolérées.

La part des achats de véhicules dans le budget total des ménages a baissé de 4,7% en 1996 à 3,8% aujourd’hui. Le coût global annuel d’une voiture se situe entre 6 et 8 000 € par an, représentant ainsi le deuxième poste de dépense des ménages français. Bien que les prix des voitures neuves et d’occasion n’aient pratiquement pas augmenté depuis 1998, le coût de l’entretien et de la réparation a lui crû de 35 %, soit 2,5 fois l’inflation sur cette même période.

L’âge moyen de l’acheteur d’une voiture neuve ne cesse d’augmenter, atteignant 51,3 ans en France en 2013, avec seulement 9% de ceux qui achètent des voitures neuves ayant moins de 30 ans. Le nombre de permis de conduire délivrés a quant à lui chuté de près de 30% entre 1980 et 2011. «Jusqu’à récemment, chaque génération s’équipait plus en automobile que celle d’avant, » explique Bénédicte Charvet-Baudouin, qui dirige les études sur l’automobile au BIPE. « Mais la génération qui a entre 25 et 30 ans aujourd’hui s’équipe moins que celle d’avant, c’est la première fois que l’on constate un déclin» [1]. Cette tendance au retardement de l’achat d’une voiture neuve se retrouve dans le monde entier. Elle s’explique tout d’abord par les conséquences de la crise qui touche en premier lieu les jeunes mais également par l’évolution du rapport à la voiture qu’ont les plus jeunes générations. « La voiture doit être abordée comme un service, sous l’angle de l’information sur les moyens d’offre de déplacement à chaque instant », estime Jean-Marie Duthilleul, architecte participant à la consultation du Grand Paris. On est loin du culte du progrès et de la réussite sociale que le véhicule individuel représentait il y a encore quelques années. Pour le sociologue Jean Viard, auteur notamment de « Eloge de la mobilité », Internet représente aujourd’hui le rôle de vecteur ultime de liberté que recherche tant la jeunesse : «L’Internet est aux jeunes d’aujourd’hui ce que la voiture était aux jeunes dans les années 1960 : un moyen de socialiser qui n’existait pas pour la génération précédente. »

De nouveaux services pour de nouveaux consommateurs

Parallèlement, le secteur des nouvelles mobilités est actuellement en pleine ébullition et séduit les plus jeunes générations qui voient  ces services comme plus fiables, moins coûteux et plus souple que la possession de voiture. De plus, ces services satisfont un goût prononcé des plus jeunes pour la découverte et les rencontres. L’expérience de la voiture est associée à un système collectif, où l’aventure relationnelle occupe une place privilégiée. L’usager tisse des liens comme il le ferait sur un réseau social.

En marge du développement des nouvelles technologies liées aux véhicules électriques et aux véhicules intelligents (Google car) se développent une myriade de nouveaux modes de mobilité fondés sur les principes de l’économie collaborative et sur les nouvelles communications. Du covoiturage à l’auto-partage en passant par la location de véhicules entre particuliers, ces services complémentaires, disponibles uniquement via le web, se sont développés pour répondre aux différents besoins de transport (trajets quotidiens, longues distances, location, taxis…). Ils se veulent plus souples, plus écologiques et plus conviviaux. Au cours des dernières années, de nouveaux acteurs se sont efforcés de créer des services organisés et sécurisés, se positionnant ainsi comme « tiers de confiance ».

Encore marginaux aujourd’hui (sur 36 millions de voitures en France, 5000 véhicules sont « partagés ») la tendance montre que ces nouveaux modes de mobilité ont le vent en poupe. Pour preuve, les acteurs majeurs du secteur commencent à investir dans ces services de la mobilité 2.0, à l’instar de la SNCF qui a récemment acquis un site de covoiturage et a lancé son nouveau site Mytripset, un comparateur des différents modes de transport pour des voyages en Europe (train, avion, voiture).

Ces services ont été rendus possibles par l’essor des technologies numériques et notamment du smartphone qui permet à l’utilisateur de disposer d’une information en temps réel et d’adapter son comportement en fonction de différents paramètres (état du trafic, comparateur de prix, services disponibles…).

Les grandes tendances de ces nouveaux modes de mobilités

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Le covoiturage est une solution qui met en relation des conducteurs et des passagers. Elle est utilisée préférentiellement pour de longues distances mais aussi pour les trajets domicile-travail. Cette solution est regardée de près par les collectivités qui souhaitent encourager ce mode de déplacement afin de réduire les encombrements à l’approche des agglomérations. L’agglomération de Montpellier ou encore Nantes Métropole ont mis en place des aires dédiées au covoiturage. Le covoiturage intéresse également les acteurs traditionnels de la mobilité comme le démontre le récent rachat de Greencove par la SNCF. D’autres acteurs s’intéresse à ce concept pour s’adapter aux évolutions des modes de mobilité : Ikea s’appuie sur covoiturage.fr pour proposer une plateforme d’échange entre les personnes souhaitant se rendre dans ses magasins. Avec ses magasins uniquement aux périphéries des villes, il trouve ainsi un moyen de viser les jeunes clients ou les urbains sans voiture (Ikea complète d’ailleurs cette offre avec des bornes autolib dans ses 7 magasins d’IDF).

Le site français Blablacar, se positionne comme leader européen du covoiturage et revendique un total de 6 millions d’utilisateurs et une croissance annuelle du nombre de membres de plus de 100% par an. Bien que plus développé en Europe que dans le reste du monde, cette solution suscite partout de l’intérêt et même si elle n’est pas appelée, dans un futur proche, à devenir un modèle dominant, elle répond à un besoin qu’on retrouve dans la plupart des pays développés aujourd’hui. A ce jour, le covoiturage est principalement adopté par les jeunes européens. La Suède, la France et l’Allemagne sortent en tête des pays les plus dynamiques pour ce qui est du covoiturage avec plus de 20% de la population ayant déjà utilisé ce type de service. De plus, on relève partout et dans l’ensemble des générations l’envie déclarée des non usagers d’y avoir recours un jour. En France, 41% des non pratiquants envisagent de le faire.

L’auto-partage est une solution qui vise à mettre en commun, au profit d’utilisateurs abonnés, une flotte de véhicules de transports terrestres à moteur. Chaque abonné peut accéder à un véhicule sans conducteur pour le trajet de son choix et pour une durée limitée. L’auto-partage est un complément des solutions alternatives à la voiture individuelle en termes de flexibilité et de distance à parcourir. Il vient ainsi se positionner comme maillon manquant dans un système de transport multimodal.

L’auto-partage séduit les personnes qui ont un besoin ponctuel d’automobile sans pour autant vouloir assumer toutes les contraintes d’une voiture (achat, entretien, parking, assurance…).  D’abord le fait d’associations, puis d’acteurs traditionnels de la location (Avis, Hertz), cette solution est aujourd’hui également organisée par les collectivités territoriales (AutoLib). L’une après l’autre, les grandes métropoles s’équipent de services de voitures électriques en libre service. En France, une douzaine d’agglomérations testent l’auto-partage électrique, avec une multiplication des expérimentations depuis 2011. On observe une stabilisation aux alentours des 200 000 utilisateurs depuis le lancement de ce type de service en 2000. La part de personnes se déclarant « intéressées » par ces systèmes est cependant passée de 6 à 10% entre 2009 et 2013. A noter qu’avec ce service, la maintenance des véhicules est organisée par les entreprises gestionnaires du service, ce qui limite le phénomène d’obsolescence (la voiture devenant source de coût et non plus source de profit).

La location de voitures entre particuliers est également une nouvelle solution, venue de l’économie collaborative. En France, trois acteurs majeurs se dégagent: Drivy, OuiCar, BuzzCar qui totalisent à eux trois 25 000 véhicules. Cette croissance éclair a notamment été rendue possible par la création par les assureurs d’une formule spécifique à ce genre de pratique.

Une multitude de startups s’est lancée sur ces différents créneaux, proposant parfois des services très originaux comme le site TripnDrive qui a développé une solution d’auto-partage dans les aéroports ou Heetch qui permet à des particuliers de devenir chauffeur de taxi le temps d’une soirée pour ramener chez eux les parisiens.

Ces différents services de mobilité ne sont pas en opposition les uns par rapport aux autres, ils sont davantage complémentaires. Ainsi, la mobilité de demain devra s’appuyer sur le concept d’inter-modalité, impliquant l’utilisation de plusieurs modes de transport selon les besoins de déplacement ou au cours d’un même déplacement. Cela est désormais possible grâce à des applications permettant de connaître instantanément les itinéraires les plus performants, en associant plusieurs modes de transports.

Les acteurs traditionnels de la mobilité vont devoir ajuster leur stratégie à cette nouvelle donne. Quels qu’ils soient, collectivités, transporteurs (SNCF, Veolia, loueurs d’automobiles) ou même assurances, les acteurs du secteur ont commencé à faire évoluer leurs politiques et leurs offres.

[1] D’après le rapport d’enquête nationale sur l’auto-partage, bureau de recherche 6-T