Un événement « comparable au premier pas de l’Homme sur la Lune ». En annonçant le lancement du Green Deal début décembre 2019, la nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, voulait marquer les esprits en plaçant son mandat sous le signe de la lutte contre le changement climatique et de la transition écologique. Six mois après, la crise sanitaire du COVID 19 et ses impacts économiques viennent réinterroger les priorités… mais le Green Deal n’a sans doute pas dit son dernier mot.

Une ambitieuse feuille de route mise à l’épreuve

Le 11 décembre 2019, dans une communication aux institutions et agences européennes, la Commission présentait son Green Deal. L’objectif ? « Transformer l’Union européenne en une société juste et prospère, dotée d’une économie moderne, efficace dans l’utilisation des ressources et compétitive, caractérisée par l’absence d’émission nette de gaz à effet de serre d’ici 2050 et dans laquelle la croissance économique sera dissociée de l’utilisation des ressources ». Ce « Pacte vert » donne la feuille de route à suivre en matières climatique, énergétique et environnementale d’ici à 2030 tout en mobilisant les moyens financiers nécessaires.

Au-delà des enjeux environnementaux, ces différentes mesures ont vocation à renforcer le leadership politique européen en matière climatique, repositionner l’industrie européenne comme moteur de cette transformation – moteur aujourd’hui largement situé en Chine –  et générer des emplois qualifiés dans les États membres. La Commission européenne estime que, pour atteindre ces objectifs, 260 milliards d’euros supplémentaires doivent être investis chaque année, soit environ 1,5 % du PIB européen. Le « plan d’investissements pour une Europe durable » prévoit 100 milliards par an, soit 1 000 milliards d’ici 2030, le reste de l’effort – 160 milliards d’euros par an – devant être porté par les acteurs privés.

Las, l’épidémie de Coronavirus est passée par là. Celle-ci rend le calendrier du Green Deal incertain, questionne les priorités politiques des États membres et génère de la concurrence sur l’allocation des ressources financières dans un contexte de crise économique sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale.

Une grande partie de la machinerie juridique sous-tendant le Green Deal devait en effet être prête d’ici octobre 2020 pour que l’Union européenne arrive en position de force à la COP26, initialement prévue à Glasgow en novembre. Le report de la COP 26 en 2021 risque donc de ralentir l’adoption de mesures structurantes. Pour autant, avant même le début de la crise, très peu de pays avaient remis leurs feuilles de route à la Commission pour la période 2021-2030. Les États membres et Bruxelles disposent donc d’un délai supplémentaire pour affiner les trajectoires d’émissions de carbone. L’objectif de la Commission est de réduire les émissions de CO2 d’au moins 50% d’ici 2030, contre 40% aujourd’hui prévus[1].

Un consensus politique reste néanmoins à trouver sur cet objectif qui ne fait pas l’unanimité auprès des pays d’Europe de l’Est ni même de la Grèce, de Chypre ou de Malte – l’Allemagne s’y est ralliée fin avril -, a fortiori dans le contexte actuel. De nombreuses voix politiques et industrielles se sont faites entendre pour demander le report, voire l’abandon pur et simple du projet européen, arguant que les priorités politiques étaient désormais ailleurs. Dès le 16 mars, le Premier ministre tchèque appelait à « oublier » le Green Deal. Le lendemain, le Secrétaire d’État polonais chargé des entreprises publiques lui emboîtait le pas. A noter, tout de même, que les difficultés de mise en œuvre des politiques climatiques européennes ne datent pas de la crise actuelle. A titre d’illustration, les objectifs d’ENR à horizon 2020[2] sont d’ores et déjà hors d’atteinte pour près d’une quinzaine de pays – dont la France.

La crise actuelle pourrait donc renforcer les lignes de fracture préexistantes au sujet des politiques climatiques et environnementales européennes… à moins qu’elle ne soit au contraire une formidable opportunité de lancer réellement le Green Deal.

L’après-coronavirus : un terrain fertile pour le Green Deal

La mobilisation financière de l’Union européenne et des États membres pour soutenir leurs économies constitue une double bonne nouvelle pour le Green Deal. D’abord parce des centaines de milliards d’euros ont été débloqués et que ces derniers sont « disponibles » pour être investis dans la transition écologique (rénovation énergétique, soutien aux énergies renouvelables, développement du stockage et des mobilités durables…) – à condition, néanmoins, que l’impulsion politique soit donnée en ce sens. Ensuite parce qu’en levant 1 000 milliards d’euros en quelques semaines, l’Union européenne a remis en perspective l’effort consenti pour la transition écologique européenne d’ici 2030… tout en démontrant sa capacité à être à la hauteur des enjeux financiers lorsque l’urgence se fait ressentir.

Or, le COVID 19 pourrait renforcer à moyen terme les aspirations citoyennes à accélérer dans la transition vers des modes de vie plus sobres et peser sur la politique. La pandémie est en effet perçue à bien des égards comme une manifestation de la crise écologique actuelle. D’après un sondage Odoxa[3], 87% des Français souhaitent un « renforcement de la politique environnementale et écologique » à l’issue de l’épidémie.

Enfin, la crise sanitaire a jeté une lumière crue sur la dépendance de nombreuses filières industrielles vis-à-vis de la Chine, notamment dans le domaine de la transition écologique – par exemple pour les batteries de véhicules électriques, les panneaux solaires ou encore les éoliennes. La dynamique de relocalisation et de montée en compétence de l’industrie européenne qui sous-tend le Green Deal pourrait en sortir renforcée.

[1] Par rapport à 1990

[2] 20% d’ENR à l’échelle de l’Union européenne avec des objectifs différenciés d’un pays à l’autre

[3] Sondage Odoxa pour Les Échos, Comfluence et Radio Classique, 13 avril 2020