Interview de Raphaël Masvigner, co-fondateur de Circul’R

Circul’R est une association à but non lucratif créée par Raphaël Masvigner et Jules Coignard il y a 2 ans. Leur objectif était de faire un tour du monde pour créer le premier réseau international d’entrepreneurs de l’économie circulaire.

Partis pour 17 mois, ils ont voyagé dans 22 pays et sont allés à la rencontre de près de 150 projets dans des secteurs très variés tels que l’industrie, le textile, les nouvelles technologies, l’énergie…

Leur projet répond à 3 objectifs :

  • Identifier les solutions innovantes de l’économie circulaire en mettant l’accent sur les pays émergents dans lesquels les initiatives sont moins connues que dans les pays du nord.
  • Connecter les entrepreneurs : au sein d’un même pays et dans le monde afin qu’ils puissent collaborer et partager leurs expertises. A ce jour, Circul’R a contribué à plus de 100 mises en relation entre entrepreneurs mais aussi entre entrepreneurs et grandes entreprises.
  • Sensibiliser le grand public et les consommateurs qui ont également leur rôle à jouer dans la promotion de l’économie circulaire à travers une consommation plus responsable. Circul’R a ainsi réalisé 25 conférences auprès d’universités ou dans le cadre d’événements comme le « Disruptive innovation festival » de la fondation Ellen MacArthur qui présente des solutions innovantes liées à l’économie circulaire.

Atlante les a rencontrés pour mieux comprendre leur projet et leur vision du concept et de la maturité de l’économie circulaire.

Comment définiriez-vous l’économie circulaire ? Cette définition a-t-elle évolué depuis le début de votre voyage ?

Nous pouvons définir l’économie circulaire comme « l’utilisation intelligente des ressources naturelles pour tendre vers un modèle zéro déchets ». Après 17 mois sur le terrain, nous avons également constaté que :

  • Pour fonctionner dans les pays émergents, l’économie circulaire doit aller de pair avec la réduction de la pauvreté et « l’empowerment » des populations locales. On parle alors d’économie circulaire sociale.
  • Elle doit également être « glocal », une combinaison gagnante d’un modèle « global » et « local ». Il s’agit de s’inspirer des idées se développant partout dans le monde en tenant compte des ressources et de la culture locales.

A quelle échelle (locale, nationale, internationale) agissent généralement les initiatives que vous avez étudiées ?

Les initiatives locales représentent 70% des projets étudiés. La réplicabilité étant l’un des critères de sélection des projets, ces initiatives locales ont pour la plupart un potentiel de développement à l’international.

Circul’R a cependant étudié des initiatives qui agissent à tous les niveaux :

Action Internationale

Action Nationale

Action Locale

Interface

 

Hollande

Leader mondial dans la fabrication de dalles de moquette éco-responsable et 100% recyclable. Celle-ci est louée aux entreprises puis récupérée à la fin de son cycle de vie. Conserver la propriété du produit permet 80% d’économie d’énergie, 60% en matière, 70% en eau. Avec près de 450 M€ d’économies, cette solution est aussi intéressante écologiquement que financièrement.

Newlight technologies

 

Etats-Unis

Newlight commercialise une technologie permettant de capturer du CO2 et de transformer celui-ci en un bioplastique appelé AirCarbon. Il s’agit d’un mélange composé d’environ 40% d’oxygène provenant de l’air et de 60% de carbone et d’hydrogène provenant des émissions capturées.

 

Sistema Biobolsa

 

Mexique

Sistema Biobolsa Produit du biogaz à partir d’un biodigesteur utilisant du fumier collecté par les fermiers. Cette technologie qui permet à ces derniers d’avoir accès une énergie propre se développe très bien au Mexique.

L’entreprise tend aujourd’hui à se développer à l’international.

NewLight Technologies, Etat-Unis

Quelles seront les suites de l’initiative Circul’R après ce voyage d’étude ?

Ces 17 mois sont une première étape nous permettant de constituer un réseau international d’entrepreneurs de l’économie circulaire jusqu’alors inexistant.

A notre retour, nous créerons un modèle d’organisation hybride.

D’un côté, l’association Circul’R aura pour objectif de :

  • Accélérer le développement des startups de l’économie circulaire (via l’accès à des financements et à l’expertise de notre réseau d’entrepreneurs) ;
  • Sensibiliser le grand public à travers des conférences en lui offrant la possibilité de promouvoir lui-même l’économie circulaire (information, solutions clefs en main).

En parallèle, nous allons mettre en place un social business qui conseillera les grandes entreprises pour les accompagner dans leur transition d’un modèle linéaire à un modèle circulaire. Nous nous intéressons également au conseil auprès de fonds d’investissement souhaitant investir dans des startups ayant un impact environnemental et social conséquent.

Les déchets sont souvent au cœur des politiques de l’économie circulaire. Quels sont les autres secteurs clefs ?

L’économie circulaire est souvent associée au recyclage des déchets. Or, ces derniers n’en sont qu’une partie. C’est ce que nous avons cherché à démontrer à travers ce tour du monde : l’économie circulaire est une alternative viable pour vivre dans un monde où la notion de déchet n’existe plus.

Une phrase d’un entrepreneur anglais nous a beaucoup plu et traduit bien cette idée : « les déchets sont juste des ressources au mauvais endroit ».

L’économie circulaire s’applique donc à tous les secteurs (déchets, eau, transports, énergie, agriculture, architecture etc.) et notamment dès le début de la chaîne de valeur à travers l’éco-conception (comment concevoir des objets à durée de vie illimitée).

Comment les concepts de l’économie circulaire peuvent se traduire dans les secteurs de l’énergie et des transports ?

Il existe plusieurs axes de développement pour chacun de ces secteurs :

  • Le développement des énergies renouvelables : dans le secteur de l’énergie, il s’agit bien d’une alternative circulaire. Contrairement aux ressources fossiles, le soleil, le vent, la mer sont des ressources en quantité infinie, non polluantes et qu’on ne prélève pas à la Terre. L’enjeu aujourd’hui est donc de développer des technologies intelligentes ayant peu d’impacts sur l’environnement et qui captent au mieux ces énergies. Le potentiel est immense : si on couvrait 2% de la surface du Sahara avec des panneaux solaires, on pourrait générer de l’électricité en quantité suffisante pour approvisionner le monde entier.

Les énergies durables peuvent également être appliquées au secteur des transports. C’est notamment le cas de Tesla qui offre à travers sa « Model S » une voiture 100% électrique qui peut notamment fonctionner à l’énergie solaire.



Afrique du Sud

 

Créé en 2006, Solarus vend de l’énergie produite à partir de l’énergie solaire thermique et photovoltaïque. Grâce à la combinaison de ces deux technologies, jusqu’à 60% du potentiel solaire est capté (contre 30% pour un panneau solaire classique)

Inde

En Inde, près de 300 millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité. Pollinate Energy vise à apporter l’électricité aux personnes précaires en milieu urbain en proposant notamment des lampes solaires. Cela remplace le kérosène, extrêmement nocif et plus cher sur le long terme et permet aux enfants d’étudier la nuit.

A ce jour, 50 000 personnes en bénéficient.



International

 

Tesla propose le modèle le plus avancé de voitures fonctionnant à partir de batteries rechargeables pouvant être alimentées à partir de l’énergie photovoltaïque ou par le réseau électrique en heures creuses. De plus, une seconde vie est offerte aux batteries.

  • L’économie de la fonctionnalité: cet axe consiste à proposer des services d’usage de biens (au lieu de leur vente) tels que l’utilisation d’une voiture. C’est le modèle d’Autolib ou de Velib qui permet de diminuer la quantité de voitures en circulation et in fine, de réduire notre impact sur l’environnement.
  • L’innovation technique : Des modèles de transports innovants permettent de réduire de plus en plus l’impact de ce secteur sur l’environnement. C’est le cas du Shinkansen (TGV Japonais) dont le design s’inspire du martin pécheur. Cela a permis une réduction de consommation d’énergie de 15% et une augmentation de la vitesse de plus de 10%.
Espagne

Cette entreprise répond à la problématique des petites ruelles difficiles d’accès de San Sebastian. Elle propose des services de transport à vélo aux particuliers et pour la livraison de colis à domicile, évitant ainsi le trafic. Résultat : un gain de productivité et un impact positif sur l’environnement.

Les sponsors de votre projet sont très variés. Parmi eux, nous remarquons un acteur de l’énergie, GRDF et un acteur du transport, la SNCF. Dans quelles mesures ces acteurs sont-ils intéressés par vos travaux ? Avez-vous étudié des solutions qui pourraient particulièrement les intéresser ?

Les entreprises doivent faire face à de nombreux enjeux liés à la volatilité des prix des matières premières et des ressources. Adopter un modèle circulaire pour se rapprocher de l’autosuffisance leur permettrait de mieux se couvrir contre ce risque de volatilité.

De la même façon, la question des déchets devient contraignante pour les entreprises avec une réglementation de plus en plus stricte. L’économie circulaire permet de réduire au maximum cette production de déchet et permet même d’en tirer une véritable valeur ajoutée si ceux-ci sont bien gérés.

Ces enjeux sont d’autant plus prégnants qu’un consensus s’est dessiné lors de la COP21 pour que les Etats et les entreprises répondent davantage de leurs impacts négatifs sur l’environnement.

Ces dernières sont donc intéressées par notre projet pour connaître des solutions innovantes  en économie circulaire et voir comment les implémenter.
Sistema Biobolsa (biogaz) au Mexique et le Shinkansen au Japon que j’ai précédemment évoqués sont des modèles très innovants qui pourraient intéresser respectivement GRDF et la SNCF.

Quels sont les pays que vous avez visités les plus actifs ou en avance dans l’économie circulaire ?

C’est une question difficile, chaque pays est innovant à sa manière.

Alors que l’accent est davantage mis sur l’innovation, l’ecodesign et la technologie dans les pays développés, c’est plus « nécessité fait loi » dans les pays émergents.

Dans les pays développés, la Hollande fait figure de tête de proue de l’économie circulaire avec des projets très poussés comme le Park 20/20 (parc industriel modulable certifié C2C). Tous les acteurs (startup, consommateurs, grandes entreprises, gouvernement) sont très impliqués.

Dans les pays émergents, nous constatons une bonne dynamique de création de projets un peu partout. Comme les ressources sont limitées, des modèles intelligents sont mis en place pour les préserver. En Inde, il existe énormément de startups sur le recyclage des déchets ou apportant des solutions pour donner accès à l’énergie ; comme GOONJ (donner une seconde vie aux vêtements) ou Lighting A Billion Lives (accès à l’énergie solaire à plus de 3 millions de personnes défavorisées).

D’après vous, quelles sont les conditions nécessaires au développement de l’économie circulaire ? 

Partout dans le monde mais peut-être davantage dans les pays développés, nous notons des points importants :

  • La législation tend encore à trop favoriser les ressources fossiles : elle doit être réorientée en faveur des énergies renouvelables. Cela passe notamment par l’arrêt des subventions aux énergies carbonées et la mise en place d’un « juste prix » intégrant le coût environnemental.
  • Les lobbies, notamment du pétrole, sont encore très puissants et ont tendance à freiner le développement des technologies propres. Un point positif à noter : en 2015, pour la 1ère fois les investissements dans les renouvelables ont dépassé ceux dans les énergies fossiles et certains grands pétroliers commencent à investir très sérieusement dans les EnR.
  • La prise de conscience des consommateurs de leur rôle à jouer. On parle alors de consomm-« acteur »: les modes de consommation (produits éthiques, durables, renouvelables…) peuvent influencer les décisions des entreprises. Cette prise de conscience nécessite un important travail de sensibilisation.

Dans les pays émergents, l’économie circulaire doit être inclusive et sociale et viser à la réduction de la pauvreté. Si les besoins primaires des populations (logement, alimentation, accès à l’eau et à l’énergie…) ne sont pas satisfaits, il est alors très compliqué de leur faire comprendre l’importance de la dimension environnementale.

Comment la France se situe-t-elle d’après vous dans le classement ?

Le constat est globalement positif, on remarque un changement des mentalités. En 2015, la définition de l’économie circulaire est entrée dans la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte. Il existe aussi un Institut de l’économie circulaire en France qui vise à promouvoir l’économie circulaire, notamment au sein des grandes entreprises.

Côté entreprises, la France compte de nombreuses startups innovantes et de plus en plus de grandes entreprises qui s’intéressent à cette thématique.

Cependant il reste encore du chemin pour que l’économie circulaire fonctionne, notamment sur les axes suivants :

  • La définition de l’économie circulaire : elle est encore trop associée au recyclage. L’économie circulaire englobe d’autres thématiques qu’il est primordial de développer (éco-conception, biomimétisme, etc…).
  • La sensibilisation des consommateurs : ces derniers sont de plus en plus en quête de sens avec l’envie de s’impliquer mais ils sont encore trop peu informés des alternatives circulaires possibles.
  • La transformation des entreprises : les entreprises manquent souvent d’information et d’expertise pour passer d’un business model linéaire à un modèle circulaire. Partant du constat d’entreprises qui ont réussi cette transition (Interface, Patagonia, …), Circul’R propose d’accompagner les entreprises via des activités de conseils ainsi que des ateliers de formations auprès de leurs employés.