La crise sanitaire l’a montré : les réseaux énergétiques et de transport sont vitaux pour l’économie du pays et leur qualité et leur résilience sont essentielles pour en accompagner les transformations.

Par-delà l’effet de cette crise, qui a fortement impacté les infrastructures comme l’a illustré la chute de 15 à 20% de la consommation électrique[1], et dont les effets vont certainement continuer à se faire ressentir, ces réseaux font face au changement de paradigme engendré par la transition énergétique et les mutations de la mobilité.

Comme un symbole, la publication au Journal Officiel, au milieu de la période de confinement, de la nouvelle Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) acte du passage vers le « monde d’après » pour l’énergie, 4 mois après l’adoption de la Loi d’Orientation des Mobilités (LOM) qui pose les bases d’une nouvelle organisation dans les transports.

L’adaptation d’infrastructures historiques, un défi pour les gestionnaires de réseau

Les réseaux énergétiques et de transport ont été façonnés par les monopoles centralisés d’après-guerre. Ces infrastructures de très grande ampleur, couvrant des centaines de milliers de km de canalisations, conduites, lignes et voies, fortement capitalistiques (150 Md€ de valeur nette comptable (VNC) en cumulé pour les réseaux électricité, gaz et transports) et au service de l’intérêt général, confèrent à leurs opérateurs un rôle et des responsabilités spécifiques.

Acteurs historiques, référents sur leurs activités, ces opérateurs ont vu leur modèle transformé avec l’ouverture à la concurrence, les changements de statut et le renforcement du cadre régulatoire. Ce mouvement, vécu par les acteurs de l’énergie dans les années 2000, se poursuit dans la mobilité, avec par exemple la réorganisation de la SNCF en SA et la régulation des activités infrastructure de la RATP par l’ART (Autorité de Régulation des Transports, ex-Arafer), depuis le 1er janvier 2020.

En plus de ces changements organisationnels, les gestionnaires de réseau font face à des défis qui bouleversent leur cœur d’activité.

Les évolutions d’usages (maîtrise de l’énergie, autoconsommation, évolutions des politiques de mobilité…), la montée en puissance de nouveaux moyens de production ou de locomotion (ex. ENR électriques, biométhane, véhicule électrique, hydrogène) et le développement rapide des nouvelles technologies (numérique / digitalisation) impliquent des modifications structurelles sur les réseaux et nécessitent d’énormes investissements.

Exemple emblématique, le Schéma Décennal de Développement du Réseau (SDDR), publié en 2019 par RTE, évalue les investissements nécessaires pour le réseau de transport d’électricité à 33 Md€ sur quinze ans, dont près de la moitié pour l’adaptation du réseau. Ce montant représente une augmentation de 65% par rapport au rythme tendanciel[2].

RTE prévoit 33 milliards d’euros d’investissement sur quinze ans, une augmentation de 65% par rapport au rythme tendanciel

Aux besoins d’investissement liés aux transformations de l’écosystème s’ajoutent également des problématiques de vieillissement des ouvrages après des décennies de sous-investissement, qui accroît les besoins de maintenance / réhabilitation du réseau – la SNCF appelle cela la « régénération »[3] –  mettant sous tension les trajectoires financières.

La SNCF consacre 3 milliards d’euros chaque année à la rénovation du réseau, soit 3 fois plus qu’il y a 10 ans

La maîtrise du patrimoine, levier majeur pour préparer l’avenir

La consultation publique, lancée en février 2019 par la CRE sur le cadre de régulation tarifaire applicable aux opérateurs d’infrastructures régulées, a posé clairement la problématique : des investissements efficaces sont une condition nécessaire à la réussite de la transition énergétique[4].

Cette problématique est aussi transposable aux réseaux de transport, le rapport de la Cour des Comptes de décembre 2018 sur le modèle financier de SNCF Réseau indiquant en particulier la nécessité de poursuivre l’effort de régénération des infrastructures pour garantir la pérennité du patrimoine, c’est-à-dire pour « permettre de maintenir le réseau dans un bon état d’exploitation et de sécurité » [5].

Les défis posés par les changements profonds de l’écosystème conduisent ainsi les gestionnaires de réseau à engager des travaux d’optimisation de leur gestion d’actifs, avec un enjeu majeur : mieux investir sur le réseau.

Les travaux mis en œuvre par ces acteurs s’inscrivent dans une démarche d’amélioration continue, selon une logique progressive (par exemple par catégorie d’ouvrage) – schéma ci-dessous. Ils visent à assurer en premier lieu la robustesse des inventaires et en particulier l’alignement entre bases techniques et comptables, pour disposer d’une vision du patrimoine complète et au bon niveau de granularité.

Ils visent ensuite à optimiser les modalités de gestion des investissements réseau et à adapter la description des actifs aux évolutions des ouvrages et des politiques techniques. Par exemple, le développement du gaz vert ou de l’éolien offshore nécessite de décrire techniquement et comptablement de nouveaux matériels (postes d’injection biométhane / liaisons sous-marines et postes en mer). De même, la numérisation des réseaux induit une évolution des composants et une gestion patrimoniale devant intégrer matériels physiques et éléments logiciels associés.


Ces travaux d’amélioration de la maîtrise des actifs apportent aux grands gestionnaires d’infrastructures des leviers indispensables pour répondre aux enjeux d’efficacité des investissements et préparer ainsi l’avenir.

D’une part, la ré-interrogation de la maille de granularité du patrimoine est clé pour accompagner les évolutions des politiques industrielles de développement et maintenance du réseau et permettre leur traduction efficiente dans les immobilisations. La maille de gestion patrimoniale doit en effet être cohérente avec les objets techniques d’intervention découlant de ces politiques, pour assurer la bonne imputation des mises en service (capacité à détourer la part des coûts matériel, main d’œuvre et travaux relative à chacun des composants) et des renouvellements (capacité à détourer la valeur des composants remplacés), garantissant par-là la maîtrise des flux financiers.

Elle permet également aux opérateurs de disposer en continu de la meilleure connaissance à date de leur patrimoine, pour adresser de manière pro-active les interpellations (croissantes) des autorités de tutelle ou concédants sur l’ « état » du réseau, et d’anticiper le renforcement progressif des exigences de leurs régulateurs.

D’autre part, la revue des durées de vie des ouvrages de réseau, établies historiquement et globalement peu revisitées, constitue un levier pertinent à la main des opérateurs – incité d’ailleurs par la CRE dans sa consultation sur le cadre tarifaire – permettant d’absorber les accroissements nécessaires d’investissement en adaptant les plans d’amortissement comptable aux cycles de vie effectifs des ouvrages (avec la prudence requise pour éviter les coûts échoués).

Faire évoluer la gestion des actifs : un projet transverse, structurant pour l’entreprise

Les démarches d’optimisation de la gestion patrimoniale impliquent des transformations potentielles des règles de gestion, des processus métiers et de la structuration des bases patrimoniales. Ces transformations impactent généralement plusieurs métiers et sont structurantes pour les équilibres financiers des opérateurs de réseau, soumis au cadre de leur régulation.

Plusieurs facteurs clés de succès sont dès lors incontournables pour la réussite de ces démarches.

De par les impacts potentiels qu’elles portent, tant financiers qu’opérationnels, celles-ci nécessitent en premier lieu une impulsion au plus haut niveau de l’entreprise pour engager les réflexions, ainsi qu’un soutien managérial fort pour préparer leur mise en œuvre.

Ils demandent, dès l’instruction amont, que les experts de l’entreprise (techniques, comptables, économiques et régulatoires, SI, territoires…) se mettent autour d’une même table pour définir des orientations partagées et cohérentes avec les pratiques, apportant de la valeur en termes financiers mais aussi pour les métiers. Cette configuration transverse, parfois inédite, implique en particulier l’appropriation de « langages » différents sur le patrimoine selon les métiers : ainsi, une « bonne » maille de granularité est avant tout une maille qui soit « comprise » par les comptables comme par les « techniciens ». C’est la condition nécessaire à l’application des évolutions dans la durée.

La gestion d’actifs s’inscrivant dans un temps long (les durées d’amortissement appliquées par les gestionnaires de réseau sont de plusieurs décennies et peuvent atteindre 100 ans pour certaines voies SNCF ou postes de transformation de courant à la RATP par exemple), ce travail doit aussi permettre de retenir des options qui soient robustes au regard des évolutions du réseau et changements technologiques prévisibles.

Pour assurer la mobilisation des acteurs et la coordination multi-métiers de l’instruction à la mise en œuvre, le travail en mode projet paraît enfin indispensable : il permet de créer une dynamique et démontrer la valeur ajoutée par des victoires rapides. De par l’objet particulier de ces projets d’optimisation de la gestion patrimoniale, la constitution de dossiers opposables vis-à-vis des Commissaires aux Comptes est indispensable. De par leur nature transverse, ces projets nécessitent aussi d’anticiper les contraintes de mise en œuvre dans les systèmes d’information (calendriers applicatifs, interfaçages, volumétrie), et l’accompagnement du changement en amont de la bascule opérationnelle.

Atlante accompagne les gestionnaires d’infrastructures

Afin de contribuer à l’enrichissement de ces réflexions, Atlante a constitué un Réseau Patrimoine rassemblant les décideurs financiers et techniques en charge de ces problématiques au sein des grands opérateurs d’infrastructures de réseau, afin de partager sur les enjeux, bonnes pratiques et démarches de gestion d’actifs, et contribuer ainsi à accompagner la transition énergétique et les mutations de la mobilité dans le « monde d’après ».

[1] https://www.rte-france.com/sites/default/files/impacts_de_la_crise_sanitaire_covid-19_sur_le_systeme_electrique.pdf

[2] Environ 2 Md€ de CAPEX annuels vs. 1,3 actuellement

[3] https://www.usinenouvelle.com/article/la-sncf-face-au-defi-de-la-regeneration-de-son-reseau.N876655

[4]https://www.cre.fr/Documents/Consultations-publiques/Cadre-de-regulation-tarifaire-applicable-aux-operateurs-d-infrastructures-regulees-en-France

[5] https://www.ccomptes.fr/system/files/2018-11/20181204-rapport-SNCF-Reseau.pdf