Le 19 avril, Eric Besson annonçait le tarif de l’Arenh. Cette annonce marquait une étape essentielle dans la définition de la loi NOME. Une démarche qui doit réformer le marché français de l’électricité, afin de se rapprocher des recommandations de la Commission européenne et qui aura pris 2 ans depuis la sortie du rapport Champsaur (disponible ici). Retour sur ces 2 années de débat.

Un marché de l’électricité peu concurrentiel

Depuis l’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité, aucun concurrent d’EDF n’a pu s’imposer. Au 4e trimestre 2011, selon la Commission de Régulation de l’Energie (CRE), les fournisseurs alternatifs ne représentaient que 5,6% des sites et 12,6% des consommations avec une pénétration plus importante chez les non résidentiels.

Cette situation s’explique en grande partie par l’avantage concurrentiel décisif de l’opérateur historique : le parc nucléaire français, qu’il exploite en totalité, lui permet de produire l’électricité à un coût inférieur à celui de ses concurrentsl.

La loi NOME ou comment accélérer la libéralisation du marché

La loi NOME a pour objectif d’obliger EDF à céder jusqu’à un quart de sa production nucléaire à ses concurrents à un prix inférieur à celui du marché pour permettre de réduire son avantage concurrentiel.  Ce principe de la réforme est déjà difficile à imposer ; la détermination de ce prix de revente est une des questions les plus sensibles du dossier.

Présentée comme la réforme la plus importante du secteur depuis 1946, le projet de loi sur la Nouvelle Organisation du marché de l’électricité (Nome) a été initiée par les pressions de Bruxelles pour que Paris respecte ses engagements de libre concurrence entre tous les acteurs du marché. Elle reprend en grande partie les conclusions du rapport de la Commission Champsaur rendu en avril 2009. Elle doit notamment mettre fin au Tarif Réglementé Transitoire d’Ajustement du Marché (Tartam).

 width=Le texte a été adopté en commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire (Sénat) et le prix de revente a été annoncé en Avril mais il est loin de rassembler. Ses détracteurs dénoncent notamment les hausses de tarifs potentielles pour les particuliers qu’il entretenerait, évaluées entre 7 et 11%, selon les projections de la CRE.

2009 : Champsaur, Proglio et le calendrier qui dérape

Paul Champsaur

Paul Champsaur est mandaté en 2008 par Jean-Louis Borloo, alors ministre de l’Energie, et Christine Lagarde, ministre de l’économie et de l’industrie pour former une commission sur une libéralisation des marchés de l’énergie préservant les intérêts des consommateurs. Son rapport est publié en avril 2009. Il préconise un accès à l’électricité nucléaire d’EDF au coût de revient pour tous les fournisseurs, la suppression des tarifs réglementés pour les gros industriels (tarifs jaune et vert) et leur maintien pour les particuliers et les petites entreprises. Certains commentateurs regrettent alors que le rapport ne suive pas l’esprit d’ouverture accélérée des marchés et laisse ouverte la question du caractère artificiel de cette concurrence.

En septembre, un accord est attendu entre Paris et la Commission européenne sur la réforme du marché de l’électricité. Le gouvernement ferait voter une loi pour appliquer les conclusions du rapport et mettre fin en 2015 aux tarifs réglementés pour les grandes et moyennes entreprises ; la Commission européenne mettrait alors fin aux contentieux en cours contre la France. Le lendemain, la Bourse de Paris applaudit la future réforme dont le premier ministre François Fillon précise les objectifs : préserver les tarifs réglementés pour les ménages et les petites entreprises, financer le parc de production existant et mettre en place un nouveau dispositif renforçant la concurrence.

Le groupe EDF, aux premières loges de cette réforme, craint d’en être le grand perdant. Il est inquiet de devoir céder à prix cassé à ses concurrents une partie de sa production nucléaire. En octobre, des discussions animées ont lieu avec les pouvoirs publics.

Une rumeur prête un consensus sur les prix de gros. Mais l’Union Française de l’Electricité(UFE) affirme qu’aucun accord n’est “intervenu au sein de la profession sur un niveau de prix pour la cession d’énergie nucléaire par EDF à ses concurrents”. “Définir un niveau de prix ne relève d’ailleurs ni de sa compétence ni de sa responsabilité” ajoute le syndicat professionnel, qui regroupe EDF et ses concurrents. Quoi qu’il en soit, des propositions ouvrant la voie à une hausse progressive des tarifs de gros seraient alors pliées.

L’arrivée d’Henri Proglio à la tête d’EDF va changer la donne. Lors de son audition par la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale, sa positon est claire : “C’est non ! Et c’est une question de survie, prévient-il. Accepter un dispositif de ce type, ce serait accepter que la boîte ne vaille plus rien. Si c’est pour faire ça, ce n’était pas la peine de me nommer…”. Le futur patron combattra pied à pied le projet du gouvernement ; il n’est pas prêt à brader un actif stratégique à ses concurrents.

En décembre, le gouvernement prévoit de consulter les acteurs du secteur après les fêtes pour transmettre un texte en février au Conseil d’Etat. L’idée, prudente, est de présenter un projet de loi en Conseil des ministres après les élections régionales de mars.

Le calendrier n’a pas été tenu. François Fillon s’était engagé à présenter une loi au parlement “avant la fin de l’année 2009” et à ne pas prolonger le tarif réglementé et transitoire d’ajustement au marché (Tartam) qui arrivait à échéance le 1er juillet 2010.

2010 : la réforme est votée

Délicat sur le plan politique, économique et social, ce dossier sera l’un des grands enjeux de l’année 2010, puis du début 2011 avec le retard dans la définition de l’Arenh.

L’année débute avec la présentation aux pouvoirs publics par le groupe EDF, trés remonté contre la réforme, d’un projet alternatif. Le groupe demande plus de visibilité sur l’évolution des tarifs avec une hausse de l’ordre de 24 % entre 2010 et 2015 pour financer le colossal effort d’investissement nécessaire pour la prolongation de vie du parc nucléaire français estimé par le goupe à 7,5 milliards d’euros en 2010 et à 24 milliards au total.

Le Tartam est le tarif qui permet aux entreprises ayant choisi d’exercer leur éligibilité (opter pour de nouvelles offres non réglementées) de revenir à des prix régulés. Il avait été instauré le 30 juin 2007.  Initialement prévu pour 2 ans, il avait été prolongé jusqu’au 30 juin 2010 par le gouvernement souhaitant répondre aux attentes des industriels. Avec le retard accumulé sur la réforme, une nouvelle prolongation semble incontournable.  width= En février, le groupe italien Enel fait savoir que le dérapage du calendrier et l’avant-projet de la réforme du marché de l’électricité deviennent inquiétants. Cinq mois avant l’échéance du Tartam, le flou est total. Fulvio Conti, administrateur délégué d’Enel, réclame “une concurrence loyale […] sur le marché français de l’électricité”. C’est bientôt l’ensemble des acteurs du secteur qui réclament davantage de visibilité. Taxe carbone, certificats d’économies d’énergie, réforme… Les sujets d’interrogation se multiplient.

En mars, alors que Poweo creuse ses pertes, le président du directoire Verbund, son actionnaire autricien, s’inquiète du retard de la réforme. Sans elle, il estime que l’entreprise ne pourra pas survivre sur le segment des particuliers. En attendant, le fournisseur décide de réduire le démarchage de nouveaux clients. L’avertissement au gouvernement est clair.

Afin de rassurer le fournisseur historique, le député Jean-Claude Lenoir explique que la réforme sera favorable à EDF, notamment car ses concurrents devront “participer à l’investissement productif” pour avoir droit à une partie de l’énergie nucléaire d’EDF : la formule de prix inclura le coût d’allongement de la durée de vie des centrales nucléaires.

Puis les choses semblent s’accélérer. Le 25 mars, Jean-Louis Borloo, indique au Sénat que le projet de loi a été transmis au Conseil d’Etat et qu’il sera soumis au Parlement au “début du printemps”. Le 14 avril, le projet de loi sur la nouvelle organisation du marché de l’électricité est présentée en Conseil des ministres. Mais dès mai 2010, le désaccord sur les tarifs apparaissent et le débat dérape.

Après une audition des présidents de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) et d’EDF à l’Assemblée nationale, il apparaît que la question est très épineuse. La CRE a présenté des scénarios faisant état d’une hausse possible des tarifs résidentiels de 7,1 à 11,4 % d’ici à 2011, puis de plus de 3 % par an. Le régulateur a évoqué des mouvements comparables sur les tarifs professionnels. Des projections rapidement démenties par EDF et le gouvernement en la personne de Jean-Louis Borloo qui dénoncent des “rumeurs”  : “le gouvernement est responsable de la détermination des tarifs réglementés et nul autre n’a autorité aujourd’hui pour établir des orientations à ce sujet”.

En juin, les chiffres sur l’état de la concurrence sur le marché sont publiés par la CRE. Ils ne sont pas bons : 120 000 clients particuliers ont rejoint un concurrent d’EDF au premier trimestre 2010. 34 % de moins qu’au trimestre précédent.  Et pourtant, le projet de loi ne fait pas que rassembler. François Brottes, député PS de l’Isère et président de la Commission énergie à l’Assemblée nationale, dénonce une loi qui va fragiliser l’entreprise EDF. En séance, il explique qu’il y a au moins “10 bonnes raisons de ne pas voter cette loi”.

En juillet, le texte arrive au Sénat. Le rapporteur Ladislas Poniatowski avait prévenu qu’il entendait apporter sa patte au texte : “Ce ne sera pas le même texte”. Le 7 juillet , la commission de l’Economie du Sénat vote les amendements qui seront discutés en séance entre le 27 et le 29 septembre. Le principal amendement se prononce en faveur de l’ouverture du capital des centrales nucléaires françaises. Après le Sénat, au plus tôt mi-octobre, la loi doit aller en deuxième lecture à l’Assemblée. Le gouvernement espère la promulguer d’ici à la fin de l’année, pour une entrée en vigueur début 2011.

La loi est finalement votée en décembre, sans fixer le prix de l’Arenh. La question qui se pose est désormais celle de savoir si une nouvelle mission sera confiée à Paul Champsaur. Il aurait été appelé à la rescousse par Jean-Louis Borloo pour fixer le prix auquel EDF devra vendre son électricité nucléaire à ses concurrents dans le cadre de cette loi.

2011 : la fixation du prix de l’Arenh

En janvier, la mission Champsaur lance ses auditions. Elle est chargée de déterminer la méthode de calcul du prix auquel les fournisseurs alternatifs pourront acheter l’énergie nucléaire d’EDF, l’Arenh. Parallèlement, les parlementaires de la commission des Affaires économiques auditionnent les différents fournisseurs et le débat est animé… EDF demande 42 euros le MWh tandis que ses concurrents, GDF Suez en tête, demandent 35. Le patron de GDF Suez Gérard Mestrallet argumente que ce prix est “équitable” puisque c’est “le prix qu’EDF facture aux particuliers”. “Il n’y aurait aucun pillage puisque EDF ne ferait pas de pertes, mais au contraire une marge”. Une semaine plus tard, Henri Proglio réplique. Le PDG martele qu’il ne bradera pas l’accès des opérateurs alternatifs au nucléaire : “Le nucléaire français n’est pas en solde!”. Il s’emporte. “Si quelqu’un est capable de vendre à 30 ou 35 euros le mégawatt sa production, j’achète ! Halte aux bêtises ! Halte aux contre-vérités ! Non aux stupidités”. Il poursuit : “Je ne vois pas pourquoi la France serait la plus abrutie des nations du monde où on ferait cadeau du patrimoine national à des concurrents”. En effet, depuis quelques mois, EDF estime que le juste prix de cessions’approcherait des 46 euros le MWh. “Les efforts faits pour passer de 46 à 42 euros coûtent 10 milliards d’euros à EDF dans les 4 ans qui viennent. C’est suffisant”, affirme le président d’EDF.

En février, Paul Champsaur est attendu sur des préconisations de prix entre 37 et 39 euros. Le secteur de l’industrie craint un prix à 42 euros par mégawattheure : cela menacerait 90 000 emplois industriels selon le responsable de l’énergie au sein du Groupement des fédérations industrielles.

En mars, le représentant de l’actionnariat salarié d’EDF défend un autre point de vue  en appelant à “ne pas spolier EDF au nom de la concurrence”. Puis, le 20, le secteur est surpris par le revirement dans la stratégie de Direct Energie, prêt à s’aligner sur les exigences d’EDF sur le montant de l’Arenh.

Début avril, une information circule selon laquelle EDF devrait vendre son énergie nucléaire à ses concurrents à un prix proche de 40 euros par mégawattheure. Le suspens dure tant que le décret n’est pas publié. Le feuilleton prend fin le 19 au matin lorsqu’Eric Besson annonce à la radio la décision de Nicolas Sarkozy qui finit par donner satisfaction à EDF : l’opérateur historique pourra vendre à ses concurrents jusqu’à un quart de son électricité d’origine nucléaire au prix de 40 euros le MWh à compter du 1er juillet 2011, puis de 42 euros à partir du 1er janvier 2012.

Dans un entretien aux “Echos”, le directeur général de Poweo, Loïc Capéran, déplore ce choix. GDF Suez, ainsi que les industriels gros utilisateurs d’électricité se déclarent également « déçus ». Les associations de consommateurs craignent, elles, que cette décision ne fasse “flamber les tarifs de l’électricité”.

Et maintenant ?

Ce débat a réveillé en France la conscience que notre marché de l’électricité était très original en Europe. Nous avons été parmi les plus réticents à l’ouvrir le marché à la concurrence et nous bénéficions d’un kilowattheure parmi les moins chers.

En 2010, le kilowattheure français était facturé hors taxe 25% moins cher que la moyenne des 27 pays européens : 9,22 centimes d’euros en France contre une moyenne de 12,23 centimes en Europe selon Eurostat. En comparaison, outre-Rhin, elle est facturée près de 50 % plus chère (13,81 centimes) et près de 54% plus chère en Espagne (14.17 centimes). Nous sommes parallèlement en retard dans la libéralisation du marché avec des positions encore très forte d’EDF sur les marchés résidentiels et non résidentiels.

Or, depuis plusieurs années, ces deux questions de la hausse des prix et de l’ouverture à la concurrence sont associées dans le débat français. Il est vrai que, pour le moment, la libéralisation lancée dans les 27 pays européens en 2007 ne semble pas profiter aux consommateurs avec une hausse de près de 9% de l’électricité dans l’Union entre 2007 et 2010 (de 11,23 à 12,23 centimes par kWh). Cependant, d’autres raisons peuvent expliquer cette hausse comme la hausse des prix des énergies primaires, l’accélération du recours aux EnR et en France, la fin de la rente du nucléaire.

En effet, jusqu’en 2007, la France a joué une partition bien différente de celle de ses partenaires. Alors que les autres pays européens avaient libéralisé leur marché de l’énergie, la France a décidé de garder la main sur les prix. “Au début des années 1990, les ministres successifs ont décidé de geler les tarifs réglementés, alors que le prix des matières premières et des combustibles ne cessait d’augmenter et que les coûts projetés du futur parc nucléaire EPR montraient des niveaux beaucoup plus élevés que le parc des années 1970, analyse l’association négaWatt, qui milite pour une politique énergétique plus sobre. Pour conserver ce formidable atout français, les politiques ont donc choisi de rompre le lien entre le prix facturé au consommateur et le coût réel de production incluant la maintenance, le prolongement du parc, la démantèlement des centrales, le traitement des déchets et les futurs investissements.

Les fournisseurs alternatifs militaient pour une électricité de base à 35 euros par MWh qui correspond aux prix réglementés du marché français. Avec le coût de développement de l’EPR et le traitement des déchets, l’entreprise estimait jusqu’à 60 euros le MWh en 2009. L’Arenh fixé par Nicolas Sarlozy semble répondre aux arguments d’EDF. Mais si le tarif réglementé reste à 35 euros, et que les fournisseurs alternatifs doivent acheter leur électricité auprès d’EDF à 40 euros puis à 42 euros, l’objectif d’accélération de la concurrence semble difficilement atteignable. Loïc Capéran, directeur général de Powéo, au lendemain de l’annonce du gouvernement déclarait” à 42 euros, notre développement n’es pas viable à court terme, sauf à augmenter significativement les tarifs réglementés”. Implicitement, la loi Nome prévoit cette augmentation des tarifs réglementés. En effet, elle stipule que l’Arenh deviendra, avant la fin 2015, la référence pour les tarifs réglementés reservés aux particuliers. La partie production de l’électricité, qui représente 50% de la facture aux côtés de la distribution, du transport et des taxes, devrait donc bondir de 25% à 30% pour faire converger les actuels 35 euro le MWh du tarif réglementé et les 42 de l’Arenh.

Les discussions sur la loi Nome ont donc souligné que cette rupture entre coût réel et prix facturé ne peut plus perdurer si la France veut pouvoir maintenir à long terme son avantage en terme de production d’électricité. L’augmentation du prix de l’électricité est une décision difficile, surtout dans un contexte de crise, mais semble inévitable afin de reconstituer les réserves d’investissement dans des moyens de production modernes. Cette évolution doit être menée conjointement avec une réflexion sur le mix énergétique et les économies d’énergie.