Axelle-Lemaire

Mercredi 3 septembre 2014, pour le premier Conseil des ministres de la rentrée, le Gouvernement a dévoilé une communication volontariste sur le numérique présentée par Axelle Lemaire, Secrétaire d’Etat au numérique, et confirmé qu’une loi sur le numérique serait bien examinée l’an prochain au Parlement, mettant ainsi fin aux spéculations, nombreuses depuis le début de l’année, sur le devenir de ce projet de loi annoncé depuis le début du quinquennat. Ce projet pourrait bien concerner de nombreux secteurs, dont celui des énergies.

D’une « loi sur les droits et libertés numériques » à un « projet de loi numérique » porteur d’enjeux pour le secteur des Utilities

L’origine du projet de loi remonte à début 2013, lorsque le Gouvernement Ayrault avait organisé un séminaire à l’issue duquel 18 mesures pour le numérique avaient été dévoilées. Parmi celles-ci, la 13ème promettait une « loi sur la protection des droits et des libertés numériques ». Le projet était alors présenté comme un véritable « Habeas Corpus Numérique », en référence à la loi britannique de 1679 contre les détentions arbitraires, qui fut l’un des premiers textes de protection des libertés individuelles. « La décennie qui vient de s’écouler a vu la mise en œuvre d’une stratégie défensive et craintive devant les potentialités d’internet et du numérique », regrettait alors le Gouvernement.

Au fil des mois, le contenu du projet de loi a évolué – tout comme son intitulé. On parle désormais plus globalement d’un « projet de loi numérique ». Axelle Lemaire a assuré vouloir « porter un débat qui dépasse la seule sphère économique afin de préparer la France aux défis posés par l’entrée dans l’ère numérique ». La communication en Conseil des ministres parle même d’ « identifier les évolutions nécessaires à l’avènement d’une « République numérique » propice à l’innovation et respectueuse des libertés ».

Au fil des prises de parole de la Secrétaire d’Etat ces derniers mois, trois volets du projet de loi semblaient se dessiner :

  • Le premier lié à l’économie et à l’innovation,
  • Le second à une dimension plus juridique, autour des questions de droits et libertés sur internet et de protection des données personnelles,
  • Le troisième concernant l’action publique de l’État, avec cette idée qu’il faut une loi qui fasse entrer les institutions et les structures économiques du pays dans l’ère numérique.

Toutefois, cette structure risque très certainement d’évoluer suite à la grande concertation publique qui sera animée par le Conseil National du Numérique cet automne (voir ci-dessous).

Pour le secteur des Utilities, les enjeux se concentrent notamment autour de la protection des données personnelles. Avec le déploiement des compteurs communicants, les nombreuses données qui seront relevées, notamment chez les particuliers, amènent à faire évoluer largement le cadre juridique et règlementaire. De plus, les acteurs règlementés du secteur de l’énergie détiennent des données considérées comme administratives et relevant du domaine public ; le projet de loi pourrait alors avoir des conséquences sur les obligations de partage de ces données envers le grand public.

Un projet de loi initialement prévu début 2014 désormais programmé en 2015

Lors de la conférence de 2013, le gouvernement Ayrault avait indiqué que le texte serait « présenté au Parlement début 2014 au plus tard ». Il est désormais annoncé par la Secrétaire d’Etat Axelle Lemaire pour le 1er semestre 2015. Certains commentateurs estiment toutefois que ce délai ne sera une nouvelle fois pas respecté, la communication en Conseil des ministres évoquant sans autre précision « un examen au Parlement en 2015 ». Axelle Lemaire assure toutefois que le texte fait partie des priorités gouvernementales. Manuel Valls a effectivement annoncé le 1er août 2014 lors d’un séminaire gouvernemental à l’Elysée que le numérique fait partie des « huit domaines pour lesquels [l’exécutif mènera] des actions fortes et ambitieuses » à la rentrée. « Nous allons lancer une grande mobilisation collective parce que le numérique, c’est la croissance de demain. Et donc personne ne doit en être exclu ».

Une concertation large du Conseil National du Numérique pour l’avènement d’une « République numérique » dans la collaboration

Le dépôt du projet de loi sera précédé d’une grande concertation nationale. Animée par le Conseil National du Numérique, elle devrait être lancée dans les prochaines semaines pour identifier les évolutions nécessaires à l’avènement d’une « République numérique ». Le Premier ministre a saisi officiellement le Conseil National du Numérique par lettre le 4 septembre dernier, identifiant un champ très large de concertation. Le Conseil National du Numérique a regroupé les sujets identifiés par le Premier ministre en quatre grands thèmes :

  • Croissance, innovation, disruption : Le numérique occupe une place de plus en plus importante dans l’économie mondiale, européenne et française. Il provoque une restructuration de nombreux secteurs de l’économie et la création de nouveaux modèles économiques. Face à ces défis, comment faire du numérique un levier de croissance et de compétitivité ?
  • Loyauté dans l’environnement numérique : L’environnement numérique est de plus en plus caractérisé par des déséquilibres forts entre le pouvoir des grandes plateformes et celui de leurs usagers ; entre les Etats et leurs citoyens. Il est nécessaire de redéfinir les grands principes du numérique autour d’un principe général de loyauté.
  • Un Etat stratège dans la transformation numérique : Le numérique constitue un vecteur majeur de transformation des politiques publiques et un enjeu de souveraineté pour l’Etat. Pour répondre à ces défis, les pouvoirs publics doivent anticiper, accompagner et saisir les mutations induites par le numérique.
  • La société face à la métamorphose numérique : Le numérique induit une métamorphose du monde et de la société. Santé, éducation, travail, vie citoyenne… il s’impose partout et bouleverse certains fondements de notre modèle social, sans forcément constituer la clé d’une transition vers une société plus juste et inclusive. Cet objectif nécessite de s’appuyer sur le pouvoir d’agir grandissant des citoyens-internautes et l’émergence de nouvelles solidarités.

Quelles conséquences pour les entreprises françaises et le secteur des Energy & Utilities ?

Si un volet du projet de loi devrait traiter d’innovation et de compétitivité, et donc concerner les entreprises, l’objet de la concertation et de la loi est si large que ses conséquences sur les acteurs économiques sont difficiles à anticiper dès maintenant, que ce soit pour les grandes entreprises ou les start-up. On ne peut donc qu’espérer que cette loi donnera aux entreprises françaises les moyens d’évoluer de manière compétitive dans le monde numérique de demain.

Ce qui est certain, en revanche, c’est que les entreprises du secteur des Energy & Utilities ne peuvent aujourd’hui passer à côté des évolutions qu’induit le développement du numérique. La question numérique est porteuse d’enjeux conséquents, notamment pour les distributeurs, qui disposent de données convoitées par de nombreux acteurs, des fournisseurs aux bailleurs sociaux, en passant par les collectivités et les acteurs de l’efficacité énergétique. Alors que le déploiement en France des compteurs communicants s’annonce, voire est déjà dans certaines communes une réalité, le développement du numérique, des services et de l’écosystème qui l’accompagne ne doit pas être vécu comme une contrainte mais au contraire comme porteur de nombreuses opportunités.

Comme l’illustrent aujourd’hui les débats autour du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte (mise à disposition des données en euros, afficheur déporté, etc.), le législateur peut à tout moment par son action bouleverser les stratégies industrielles des entreprises. Le projet de loi numérique, par les questions qu’il ne manquera pas de soulever sur l’open data, le big data, le green button, la transparence ou encore le développement des start-up, peut également bouleverser les stratégies numériques que mettent en place toutes les grandes entreprises du secteur de l’énergie. A surveiller donc.