Avec la révolution numérique, le monde de l’énergie connaît une augmentation massive de données produites. Ce « déluge de données », comme l’appelle Yann Padova, Commissaire de la Commission de Régulation de l’Energie, apparaît prometteur tout en soulevant de multiples problématiques liées à la collecte, au traitement et à la valorisation de ces données.
En particulier, les données de consommation détaillées collectées grâce aux compteurs communicants en cours de déploiement apparaissent comme un outil de la transition énergétique et de la maîtrise de l’énergie.
Pour le consommateur, ces données suscitent toutefois des inquiétudes. Déjà bousculé par les transformations du marché et la complexité de ses factures, la mise à disposition de ces données risque de le noyer dans une masse importante d’informations.
Conscients de cette situation, les acteurs de l’énergie s’attachent à développer des solutions pour valoriser les données et accompagner le consommateur dans leur compréhension. Les réponses apportées s’inscrivent dans un contexte de transformation du secteur.
Pour les acteurs existants tout d’abord, la révolution numérique fait bouger les rôles et les rapports entre gestionnaires d’infrastructures et fournisseurs d’énergie. Leurs métiers s’enrichissent en évoluant, respectivement vers opérateurs de données et fournisseurs de service.

La révolution numérique est également source d’innovations et d’opportunités pour l’émergence de nouvelles solutions défendues par des start-up.

La réponse des acteurs existants de l’énergie  

Les gestionnaires de réseaux collectent un grand nombre de données de natures très diverses (consommation/production, patrimoniales, d’exploitation, financières, …). Déclinées à des mailles et des pas de temps de plus en plus fins, ces données représentent un volume considérable. A titre d’illustration, GRT gaz collecte chaque jour 28 millions de données sur son réseau[1]. De plus, les données de consommation détaillées (quotidiennes, voire horaires) arrivent peu à peu à mesure que les compteurs communicants Linky et Gazpar sont déployés chez les petits consommateurs. Encouragés par la réglementation depuis 2015, les opérateurs se montrent particulièrement actifs pour favoriser l’accès des données individuelles aux clients et à leurs tiers mandatés.

Les clients ont ainsi accès aux données de consommation, facturières, techniques et contractuelles via un portail sécurisé. Pour ceux équipés d’un compteur communicant, Enedis et GRDF offrent par exemple la possibilité de visualiser et d’exporter des données de consommation détaillées ainsi que des fonctionnalités d’alertes, de comparaisons. Pour aller plus loin, GRDF mettra prochainement le service GRDF ADICT, une API (pour Application Programming Interface). Celui-ci offrira aux tiers mandatés par les clients un accès aux données techniques et contractuelles ainsi qu’aux données de consommations brutes via des flux automatisés.

Du côté du monde concurrentiel, les fournisseurs d’énergie s’appuient sur les données disponibles pour diversifier leurs offres. En tant que fournisseurs, ces derniers ont accès aux données de consommation mensuelles de leurs clients respectifs.

Au-delà de la simple fourniture d’énergie et de l’optimisation tarifaire, ils cherchent à proposer des services complémentaires et à renforcer la relation client. Direct Energie s’appuie sur la technologie du chatbot, développée par Viseo, pour proposer une relation client personnalisée. Jo, un agent conversationnel, aide les clients à analyser leurs consommations et leur prodigue des conseils. EDF et Engie proposent également des services d’accompagnement à la maîtrise de l’énergie via leurs applications E.quilibre et Cap EcoConso.

L’émergence des start-up pour valoriser les données de l’énergie

En parallèle, les start-up se font une place dans le secteur. Armées de leur pioche et de leur tamis, elles creusent des filons pour essayer de croiser et valoriser les données disponibles au service des consommateurs et de la maîtrise de l’énergie.

Leur agilité et leur indépendance sont alors autant de forces pour développer des services auprès des consommateurs susceptibles de se poser de nombreuses questions : Que veulent dire mes données ? Pourquoi payer ce montant ? Comment agir sur mes consommations ? Quel fournisseur est adapté à mes besoins ?

A l’instar des autres acteurs, les start-up constatent toutefois que les offres d’optimisation de la consommation d’énergie sont insuffisantes. Les prix bas de l’énergie déclenchent en effet un mauvais signal pour inciter les consommateurs à s’intéresser à leurs factures.

L’argument prix restant pour l’instant sans écho, les start-up explorent plusieurs pistes pour faire adopter leurs solutions :

  • Des solutions faciles à comprendre, avec un réel enjeu de digestion de la donnée et de pédagogie pour le consommateur,
  • Des solutions abordables et facilement déployables, avec un faible coût d’investissement et une facilité d’installation pour convaincre les clients de s’intéresser au sujet,
  • Des solutions concrètes, avec des analyses débouchant sur des recommandations simples à mettre en place et adaptées à la maturité du consommateur pour faciliter le passage à l’acte.

Un potentiel de progression important à partir des données déjà disponibles

A ce stade, les données actuellement disponibles (facturières, techniques…) permettent déjà aux start-up de réaliser des analyses et d’identifier des actions d’amélioration.

Que ce soit pour les clients ou les start-up, nous ne sommes qu’au début d’une longue histoire. La majorité des clients en est encore au niveau de compréhension globale du logement et de son comportement et attend des analyses simples. Dans un premier temps, les données mensuelles apparaissent alors suffisantes pour détecter des anomalies de consommation majeures et mener de premières actions de maîtrise de l’énergie.

Les start-up, comme Deepki ou Wivaldy, avancent ainsi au rythme des clients, et profitent d’une courbe d’apprentissage avant de s’attaquer à des données plus fines, plus difficiles à analyser et à restituer simplement. Plus tard, celles-ci permettront d’aller un cran plus loin dans l’analyse et d’isoler les usages.

Les compteurs communicants, en cours de déploiement, s’inscrivent dans cette trajectoire. Ils constituent la première brique de l’instrumentation du parc et permettront aux entreprises de développer des services supplémentaires à partir des données collectées (consommations journalières ou horaires par exemple). Et leurs déploiements généralisés sont déjà l’occasion pour les clients de s’intéresser à leurs consommations et à leurs habitudes.

Pour aller plus loin, certains clients auront besoin de mettre des capteurs pour un pilotage fin des différentes sources de consommation et modifier/agir sur les usages mais beaucoup est déjà faisable avec les données existantes et à venir avec les compteurs.

Le rêve des standards de données et d’une mise à disposition automatisée  

On l’aura compris, il reste du chemin à parcourir pour comprendre la donnée et la rendre digeste et utile auprès du consommateur. D’un côté, les acteurs cherchent à stimuler l’appétence des particuliers, via une amélioration de la relation client, mais aussi une prise de conscience de l’intérêt global à s’orienter vers une meilleure performance énergétique des logements. Beaucoup montrent également une volonté d’apporter des services aux consommateurs sans que ces derniers n’aient besoin réellement de s’intéresser à leurs données.

De l’autre, un certain nombre de freins doivent être levés, à commencer par la standardisation des formats de données et une meilleure accessibilité. Les gestionnaires de réseaux se sont mis en ordre de bataille pour fournir des données fiables et visent à améliorer leur accessibilité en automatisant leur collecte. Dans son rapport du 18 mai 2017, la CRE les encourage à poursuivre leurs efforts en rappelant que « l’interopérabilité et la neutralité technologique sont dans l’intérêt de l’utilisateur final ».

Toutefois, les nouveaux entrants estiment ces mesures encore insuffisantes. Ainsi que le soulignent certains acteurs, les fournisseurs historiques ne sont pas contraints comme les gestionnaires de réseaux à fournir des données et se montrent même frileux à l’idée de perdre la relation client. Il y aurait pourtant un grand intérêt à récupérer des informations standardisées via un accès favorisé, notamment sur les données d’offres et de facturation.

Le Règlement européen sur la protection des données (GDPR) qui entrera en vigueur l’année prochaine constitue une avancée en consacrant le droit à la portabilité des données. Les modalités méritent cependant d’être précisées pour garantir l’interopérabilité des données et une mise à disposition facilitée via une API.

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[1] Rapport du comité d’études relatif aux données dont disposent les gestionnaires de réseaux et d’infrastructures d’énergie, 18 mai 2017