Entre la catastrophe de Fukushima et les déboires de l’EPR à la française à Flamanville et à Olkiluoto, la dernière décennie n’encourageait pas le volontarisme politique en faveur du nucléaire. La promesse du président Emmanuel Macron de lancer la construction de 6 centrales nouvelle génération durant son second mandat met ainsi fin à dix ans d’atermoiements de la part des pouvoirs publics.

Mais comment expliquer ce revirement stratégique de la part du président qui a fermé Fessenheim ? Sera-t-il suffisant pour répondre aux défis de la transition énergétique ?

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Économie, écologie… les crises réhabilitent le nucléaire

Le lancement du programme nucléaire français dans les années 1970 visait à assurer l’indépendance énergétique d’une France éprouvée par les chocs pétroliers. Il a ensuite permis au pays d’avoir accès à une électricité parmi les moins chères d’Europe. Le contexte actuel est comparable. Les prix de l’énergie flambent et la souveraineté énergétique refait brusquement irruption dans le débat public avec le retour de la guerre en Europe.

La guerre en Ukraine a fortement accentué une tendance à la hausse des prix de l’énergie qui se faisait déjà sentir en 2021 [1]. Or, depuis quelques années déjà, la préoccupation économique en matière d’énergie nourrit un regain de popularité de l’atome chez les Français. En 2021, 59% d’entre eux se déclaraient favorables à la production d’énergie par les centrales nucléaires, soit 12 points de plus qu’en 2018 ! Mais ce revirement s’explique d’abord par le rôle de premier plan que peut jouer la nucléaire dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Le dernier rapport du GIEC rappelle que limiter les émissions de gaz à effet de serre passe par l’électrification généralisée du système énergétique et la production d’électricité décarbonée pour se substituer aux énergies fossiles. Or, sur l’ensemble de son cycle de vie, une centrale nucléaire émet 6 grammes d’équivalent CO2 par kWh produit, soit moins que le solaire photovoltaïque (40g) et que l’éolien (11g).

Cette bonne performance carbone ne doit cependant pas occulter la complexité et les risques liés au recyclage et au stockage de déchets radioactifs dont la durée de vie peut atteindre plusieurs dizaines de milliers d’années.

Malgré la question sensible et essentielle des déchets radioactifs, le nucléaire français, fort d’un parc conséquent et d’une filière établie, apparaît comme une source d’énergie décarbonée incontournable pour assurer la transition, comme le conclut le rapport Futurs énergétiques 2050 de RTE.

Quel prix pour l’atome ?

Le nucléaire a alimenté la France en électricité bon marché pendant 50 ans. Mais, aujourd’hui, sa suprématie économique ne va plus de soi. Avec un tarif de vente de l’électricité à 115€/MWh sur 35 ans pour la future centrale de Hinkley Point C, le nouveau nucléaire d’EDF ne tient pas la comparaison avec le parc historique (prix fixé à 42€/MWh dans le cadre de l’ARENH).

De plus en plus compétitives, les énergies renouvelables viennent aussi concurrencer le nucléaire. Les derniers appels d’offres en France confirment la baisse des coûts, le dynamisme et la compétitivité des filières photovoltaïque et éolienne. Le tarif moyen des projets photovoltaïques retenus était de 56,65€/MWh en septembre 2021, 59,5€/MWh en décembre 2020 pour les projets d’éolien terrestre. L’éolien et le solaire restent néanmoins des énergies intermittentes qui dépendent des conditions météorologiques alors que le nucléaire est une énergie pilotable, ce qui limite le poids des comparaisons purement économiques.

Les dérives budgétaires de Flamanville, dont les coûts ont presque triplés au fil des retards [2],  interrogent aussi sur la viabilité économique du nouveau nucléaire. Les inquiétudes que suscitent ces écarts sont cependant à relativiser : ils sont en grande partie liés à la revitalisation d’une filière longtemps délaissée. Afin d’inscrire dans la durée ces  efforts de réindustrialisation, la filière poursuit sa montée en compétences, mettant l’accent sur l’excellence opérationnelle, notamment au travers du Plan Excell lancé en 2020 par le Groupe EDF, et sur la formation des futurs professionnels du secteur.

Une étape sur le chemin de la transition écologique

En dépit des incertitudes économiques, l’exécutif a fait le choix du nucléaire pour décarboner le mix énergétique français. Ce revirement met fin à des années d’hésitation et donne enfin un cap à la filière vers l’indépendance énergétique de la France et la neutralité carbone. Mais le nucléaire ne pourra jamais répondre seul aux défis de la transition énergétique. La décarbonation de notre mix énergétique ne pourra se faire « sans un développement significatif des énergies renouvelables » (RTE), ni sans développement de solutions propres pour les usages trop complexes à électrifier : massification du biométhane, hydrogène « vert », biocarburants, biomasse…

« Verdir » la production d’énergie ne suffira pas non plus. Ce sont également nos modes de consommation qu’il faudra faire évoluer. Dans son dernier rapport, l’ADEME rappelle que la réduction de la demande d’énergie, et donc l’efficacité énergétique, voire la sobriété, seront nécessaires pour sortir des énergies fossiles.


[1] En France, entre début septembre 2021 et fin mai 2022 les prix spot du marché de l’électricité ont presque doublé, tandis que les prix du gaz au PEG France (Point d’Échange Gaz) ont été multipliés par 3,5.

[2] Le projet devait initialement coûter 3,4 milliards d’euros, il en coûterait finalement 12,7 selon EDF.

Crédit image : “Electric Art – Cruas Nuclear Cooling Towers, Rhône River, France” par Jan Buchholtz, licence CC BY-NC-ND 2.0. Pour voir une copie de cette licence : https://creativecommons.org/licenses/by-nd-nc/2.0/jp/?