Les terres rares sont indispensables à la fabrication de dispositifs de production d’EnR ou de batteries dont la demande va exploser d’ici 2050.

Contrairement à ce que leur nom indique, ces ressources, faisant parties de la famille des métaux rares, sont en réalité présentes en quantité sur terre. Elles sont cependant très difficiles à exploiter, et leur production est concentrée entre les mains d’un petit nombre d’États.

Confrontée à une augmentation de ses besoins et à une volonté croissante d’indépendance en matière de ressources stratégique, la communauté internationale tourne désormais son regard vers des ressources minières situées non plus sur terre… mais au fonds des mers, où elles sont abondantes. L’exploitation des fonds marins permettrait aux États de sécuriser un accès à ces matériaux et d’assurer l’avenir des énergies vertes. Mais à quel prix ?  

Entre sanctuaire marin à respecter et nouvel El Dorado, le fonds des océans attise l’intérêt de nombreux acteurs internationaux. Quelle est l’ampleur de ces nouvelles ressources qui semblent à portée de main, et quelles perspectives pour l’exploitation de ces métaux rares sous-marins ? 

Demande métaux rares prospective Europe

Les métaux rares sous-marins, une ressource surabondante mais encore hors de portée  

Une quantité de métaux rares qui dépasse largement les réserves terrestres 

Un rapport publié par des chercheurs du CNRS et de l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) met en lumière les résultats de décennies d’exploration des fonds marins. Il distingue trois types de minerais pouvant être exploités par l’industrie moderne : les nodules polymétalliques, les encroûtements cobaltifères et les sulfures hydrothermaux. 

minerais sous-marins description nodules polymétalliques encroûtements cobaltifères sulfures hydrothermaux

Ce qui rend ces différentes ressources minières sous-marines si intéressantes est leur abondance.

Le rapport du CNRS affirme qu’au fond du Pacifique, dans la région Clarion-Clipperton, 9 millions de km2 (soit 15% de l’océan Pacifique) situés entre 4 000 et 5 000 m de profondeurs sont recouverts de 34 milliards de tonnes de nodules polymétalliques. Le triple des réserves terrestres mondiales de cobalt, de nickel et de terres rares.

Pour ce qui est des encroûtements cobaltifères, la « Zone Principale à Encroûtement » située au Nord-Ouest du pacifique contient elle aussi plus de quatre fois les ressources mondiales terrestres en cobalt. 

cartes métaux rares sous marins clarion-clipperton

Des acteurs industriels qui se positionnent autour des techniques d’exploitation pour des ressources à « vingt mille lieues sous les mers »  

Encore récemment au stade de théorie car les technologies n’étaient pas assez développées, l’exploitation des nodules polymétalliques a concrètement débuté en avril 2021. The Metals Company (TMC), une entreprise canadienne, a obtenu un permis test d’exploitation. Elle a fait appel à un constructeur d’installation de pétrole offshore, Allseas, qui a produit une machine de 80 tonnes apte à récupérer du minerai à 4 400 m de profondeur.

Les premières extractions se sont terminées en décembre 2022, avec au total plus de 3 000 tonnes de minerais remontées à la surface. Le coût total de ces premières opérations est encore peu précis, et il faudra attendre pour s’assurer de la rentabilité de ce business model.  

L’attention du monde industriel est braquée sur les actions de TMC, et en attente de savoir si d’autres permis d’extractions seront délivrés. 

Qui dit ressources dit régulation : ou comment contrôler la ruée vers le nouvel or noir 

L’exploitation minière sous-marine, une industrie qui pourrait dérégler le fonctionnement des océans  

De nombreuses études ont été menées afin de mettre en lumière les conséquences environnementales de l’exploitation des fonds marins. Le déploiement d’une flotte de bateaux miniers et de machines labourant le sol marin déséquilibrerait fortement la biodiversité sous-marine, que l’on connait encore très peu. Le CNRS identifie les impacts potentiels suivants :

  • Destruction partielle des habitats  
  • Formation de nuages de particules fines et grossières  
  • Destruction directe et indirecte d’animaux et de micro-organismes au niveau du plancher océanique  
  • Modification des propriétés géochimiques du sédiment et de l’eau de fond  
  • Augmentation de la concentration de composés toxiques dans le milieu  

D’autre part, la perturbation des océans pourrait impacter leur fonction essentielle d’absorption de carbone. « Poumons bleus » ou « puits de carbone » de la planète, les mers et les océans participent à l’absorption de 30% du CO2 dû aux activités humaines, et rejettent 50% de l’oxygène que nous respirons. Déséquilibrer le système sous-marin pourrait donc avoir de graves répercussions à l’échelle planétaire.  

Au vu de ce potentiel impact écologique majeur, de fortes oppositions s’élèvent. Des acteurs étatiques et des organisations non gouvernementales se sont lancés dans une course contre la montre pour interdire l’exploitation des fonds sous-marins alors que les industriels poussent pour l’autorisation des permis.  

L’Autorité Internationale des Fonds Marins, au cœur du débat sur l’exploitation minière  sous-marine

Créée en 1994, l’Autorité Internationale des Fonds Marins (AIFM) a la responsabilité de veiller à la protection des 60% des océans de la planète qui ne font pas partie des ZEE, et permet l’équitable partage des avantages économiques entre les États.

Des tâches qui semblent aujourd’hui dépasser les capacités du petit secrétariat d’une cinquantaine de personnes, incapable d’imposer des sanctions économiques ni de surveiller concrètement la totalité des océans dont il est garant.  

Dans la continuité de ses missions, l’AIFM a la responsabilité d’élaborer un Code minier qui devrait encadrer l’exploitation des métaux rares sous-marins, un projet qui donne lieu à des négociations diplomatiques tendues depuis 2011. Certains pays et entreprises comme The Metals Company font pression pour que ce code soit adopté dès juillet 2023, alors que de nombreuses questions sur l’impact environnemental de cette exploitation sont encore sans réponses. Il est légitime de s’interroger sur la capacité d’une telle organisation à s’affirmer face à des acteurs industriels ou étatiques très impliqués pour exploiter ces ressources. 

Une cinquantaine de pays ont cependant déjà déclaré leur opposition et ont signé une déclaration de moratoire mondial sur l’exploitation minière des grands fonds marins. Après quelques détours, Emmanuel Macron s’est exprimé durant la COP 27 en novembre 2022, affirmant à son tour le soutien de la France à l’interdiction de toute exploitation des grands fonds marins. La France possédant la deuxième plus grande ZEE du monde, cette décision était fortement attendue.  

Les ONG comme Greenpeace ou la Deep Sea Conservation Coalition soutiennent un élargissement du débat sur l’exploitation sous-marine à la société civile et font pression pour l’interdiction de cette exploitation. Le discours entourant l’AIFM pousse désormais l’organisation à se transformer pour s’adapter à des enjeux d’une importance croissante, qu’il sera intéressant de suivre. 


Le débat sur l’exploitation des terres rares et métaux rares prend une importance croissante sur la scène internationale, et est loin d’être terminé. Les conséquences environnementales constituent toujours le plus grand obstacle à cette nouvelle ruée vers les profondeurs, malgré le fait que l’ampleur des ressources minières sous-marines pourrait complètement changer la donne de la transition énergétique. Enfin, les tensions internationales nous poussent à nous questionner sur un potentiel renforcement de la structure de l’AIFM et de ses moyens d’action afin d’être en pleine capacité de prendre une des décisions les plus importantes pour notre planète et notre avenir.