La crise énergétique de 2022 a ralenti le développement des contrats d’achat d’électricité d’origine renouvelable à long-terme (Power Purchase Agreement, ou PPA) en Europe. Seuls 8,5 GW de PPA ont été signés en 2022, contre 10,6 GW en 2021, une baisse inédite, en dehors de l’année exceptionnelle de 2020.
La stabilité de prix garantie par ce type de contrat à long-terme apparaît pourtant comme un atout majeur dans un contexte d’incertitude marqué par une forte volatilité des prix de l’électricité. En pleine réflexion sur la réforme du marché européen de l’électricité, la Commission européenne prévoit de renforcer le marché des PPA pour améliorer la stabilité et la prévisibilité du coût de l’énergie. Déjà privilégié par les grandes entreprises pour décarboner leurs activités, le PPA se dote, à la faveur de la crise, de vertus stabilisatrices particulièrement recherchées aujourd’hui.
Le ralentissement du développement des PPA en Europe n’est-il que conjoncturel ? Sont-ils un outil adapté pour accompagner les entreprises dans leur transition énergétique ? vers un monde où l’objectif de neutralité carbone est une priorité ? où l’incertitude est la règle ?
PPA, de quoi parle-t-on ?
Un outil plébiscité, malgré un ralentissement en 2022
Le ralentissement du marché des PPA doit être mis sur le compte de la situation exceptionnelle qu’a traversée l’Europe. La flambée des prix de l’électricité, multipliés par 8 entre début 2021 et l’été 2022 sur les marchés de gros, encourage les parcs renouvelables en exploitation à vendre leur production sur les marchés de gros, et non à signer des contrats d’achat à prix fixe. A cela s’ajoute les difficultés (hausse des coûts, désorganisation des chaînes d’approvisionnement, contraintes réglementaires, etc.) à développer de nouveaux actifs renouvelables qui pourraient répondre à la demande de PPA des entreprises.
Car celle-ci ne faiblit pas. Au contraire, les grandes entreprises, industrielles notamment, y voient le moyen de s’assurer de la visibilité et de la stabilité en ces temps d’incertitude dont rien n’indique la fin proche. Pour ces entreprises, la signature d’un PPA permet aussi de donner à toutes leurs parties prenantes des gages sur leur trajectoire de décarbonation, à l’heure où la neutralité carbone devient une priorité. Ainsi, en novembre 2022, ENGIE et Google ont conclu un PPA de 100 MW sur 12 ans pour remédier à l’inquiétude généralisée pour « le changement climatique et la sécurité énergétique » et pour rapprocher Google de son « objectif de fonctionnement total avec de l’énergie décarbonée d’ici 2030 ».
Les pouvoirs publics partagent l’intérêt des entreprises pour les PPA. D’abord considéré comme un moyen de favoriser le développement des renouvelables, le PPA est désormais identifié comme un moyen de sécuriser l’activité des acteurs les plus impactés par la hausse des prix. Le fonds de garantie à destination des industriels lancé par le gouvernement en novembre 2022 devait déjà encourager le développement des PPA. La loi d’accélération de la production d’énergies renouvelables adoptée en février 2023 poursuit le même objectif en instaurant un cadre juridique propre aux « contrats de vente directe à long terme» et en permettant des appels d’offres mixtes combinant PPA et contrat d’achat ou complément de rémunération pour l’électricité et le gaz « verts ». A l’échelle européenne, la Commission devrait faire du PPA un levier essentiel de la stabilisation du marché de l’électricité.
Paradoxalement donc, c’est quand le marché des PPA ralentit que ceux-ci démontrent toute leur pertinence aux yeux des pouvoirs publics et, surtout, des entreprises qui y souscrivent. C’est qu’ils accompagnent une nouvelle conception de l’énergie au sein des grandes entreprises : de simple coût à maîtriser, l’énergie devient un véritable levier stratégique, et même parfois un argument de communication. Les annonces de neutralité carbone et les objectifs de 100% d’énergie verte qui fleurissent dans les communiqués de presse en sont la preuve.
PPA ne vaut pas panacée
Mais pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, les effets d’annonces ne suffisent pas. Il faut s’intéresser au véritable potentiel de décarbonation des PPA. Un PPA ne garantit pas de lien physique entre l’entreprise qui finance de nouvelles capacités renouvelables et leur lieu d’implantation (cf.infra). L’entreprise peut revendiquer un achat d’électricité bas carbone, mais physiquement, les émissions de CO2 associées à sa consommation dépendent uniquement du mix électrique du réseau qui alimente ses installations. Rien ne garantit non plus que les capacités renouvelables additionnelles viennent en remplacement de capacités fossiles, et non en supplément ou en remplacement d’autres capacités bas carbone.
Le PPA doit donc être pris pour ce qu’il est : un outil, essentiel, certes, mais un outil parmi d’autres pour atteindre la neutralité carbone. Il n’est pas la panacée ni un but en soi. Le risque de le considérer comme tel serait de passer à côté des véritables enjeux : la transition énergétique et la neutralité carbone à l’échelle globale.
Perdre ces cibles de vue serait dommageable pour la planète, mais aussi pour les entreprises qui s’exposeraient aux accusations d’éco-blanchiment (ou greenwashing) si elles se contentaient de communiquer sur leurs bonnes intentions. Une préoccupation sérieuse quand la Commission européenne indiquait, en 2021, que 42% des allégations environnementales sur les sites internet d’entreprises étaient « exagérées, fausses ou fallacieuses et pouvaient éventuellement être considérées comme des pratiques commerciales déloyales ».
Google, Microsoft, Amazon : des géants « verts » ?
Alphabet – la maison mère de Google –, Amazon et Microsoft communiquent largement sur des objectifs de neutralité carbone : Google se considère neutre en carbone depuis 2007 et souhaite être « la première grande entreprise à fonctionner avec de l’énergie sans carbone, 24h/24 et 7j/7 d’ici 2030 » ;Amazon souhaite atteindre l’objectif de zéro émission nette d’ici 2040 ;Microsoft souhaite avoir une empreinte carbone négative d’ici 2030. Ces annonces couvrent des réalités diverses, mais toutes reposent d’abord sur l’utilisation d’énergies renouvelables pour couvrir la consommation directe d’électricité des trois géants de la tech. Ces derniers font ainsi partie des principaux acheteurs d’électricité « labellisée » renouvelable, en particulier à travers des PPA. En 2021, Amazon était le premier acheteur de PPA au monde avec 13,9 GW de PPA au total. Microsoft (8,9 GW) et Google (8 GW) arrivaient en deuxième et troisième position. Cependant, cette approche omet une partie ou la totalité des émissions induites (scope 3). Elle s’appuie également sur des mécanismes de compensation (développement de forêts) et sur des méthodes de reporting parfois opaques. Malgré la volonté de décarbonation de ces acteurs, symbolisée par leur appétit pour les PPA, leurs annonces doivent donc être considérées avec précaution. D’autant que, du point de vue scientifique, la neutralité carbone ne peut se définir qu’à l’échelle planétaire et non à l’échelle d’une entreprise. Pour être à la hauteur des aspirations qu’ils affichent, les trois géants doivent poursuivre leurs efforts, notamment en matière de renouvelables, tout en actionnant les différents leviers d’efficacité énergétique et de sobriété à leur disposition. Ils ne pourront pas faire l’économie d’une évolution en profondeur de leurs activités dans le cadre d’une stratégie de décarbonation claire, cohérente et transparente s’ils veulent réussir à faire baisser la totalité de leurs émissions.
Quant aux PPA comme instruments de stabilisation des marchés, ils ne sont apparus que dans l’urgence de la crise. S’ils font aujourd’hui partie des leviers identifiés dans la proposition de réforme du marché de l’électricité portée par la Commission Européenne, ils ne peuvent pas répondre seuls au besoin de refonte du cadre réglementaire dans un contexte de nécessaire accélération de la transition énergétique et d’incertitude pérenne sur les marchés.
Les PPA prennent tout leur sens comme éléments d’une véritable stratégie énergétique. Que ce soit à l’échelle communautaire ou à l’échelle des entreprises, les PPA doivent être des leviers de trajectoires de décarbonation tournées vers des objectifs clairs, qui englobent tous les scopes d’activité et reposent sur des preuves concrètes et des données accessibles.
Loin d’être superflues, ces précautions garantiraient l’efficacité du PPA dans la lutte contre le réchauffement climatique et la réduction de l’incertitude. Alors, la signature d’un PPA ne serait plus le seul objet d’un communiqué de presse isolé, mais le symbole d’une avancée collective dans la bonne direction.