En France, les transports représentent plus d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre. Si l’électrification des transports[1] constitue le fer de lance de la décarbonation du secteur (- 11 Mt éq CO2 en 2030), le report modal, c’est-à-dire le transfert d’un mode de transport à un autre moins polluant, est aussi considéré comme un levier important (- 5 Mt éq CO2 en 2030). A ce titre, la stratégie nationale bas carbone (SNBC) de la France prévoit une augmentation de la part modale du ferroviaire et des transports en commun urbains pour décarboner les déplacements du quotidien, largement portés par la voiture individuelle.
Dans ce contexte, en 2023, un plan de 100 milliards d’euros d’ici 2040 a été annoncé par le gouvernement Borne pour développer le transport ferroviaire, en mettant notamment en œuvre les projets de services express régionaux métropolitains (SERM). En décembre 2023, la loi relative aux services express régionaux métropolitains a défini ces projets comme une “offre multimodale de transports collectifs publics s’appuyant sur le renforcement de la desserte ferroviaire des territoires. Ils peuvent intégrer plusieurs autres modes de transport comme les transports guidés, ou encore, le covoiturage et l’autopartage”. Ces projets visent avant tout à améliorer une qualité de service (fréquences et plages de fonctionnement, cadencement et régularité) dont l’infrastructure et le réseau ne sont que le support.
Si l’agenda lié au développement de ces nouvelles offres a été largement bousculé par l’actualité politique, 26 projets de SERM ont d’ores-et-déjà été labellisés par l’Etat. Le statut officiel de SERM, nécessaire pour espérer prétendre au financement public, sera ensuite délivré par arrêté ministériel aux projets les plus ambitieux, sur la base d’une « synthèse du dossier » présentant les objectifs poursuivis, la feuille de route pour les atteindre, le plan de financement envisagé et la gouvernance prévue pour déployer le choc d’offre.
Le développement de l’intermodalité, c’est-à-dire le fait de combiner plusieurs modes de déplacements à l’échelle d’un même trajet[2], est au cœur de la stratégie de ces nouveaux projets. Le parcours s’organise ainsi en « lignes » (l’usage de tel ou tel mode) et en « nœuds » (les lieux de changement d’un mode à un autre).
Les SERM sont donc des « projets de coopération par définition » puisque les déplacements visés – les trajets domicile-travail de plus de 10 km dans les zones périurbaines et rurales – sont étalés entre la métropole et les territoires urbains et ruraux environnants. Ils soulèvent alors le défi de la coordination entre des acteurs compétents sur des périmètres différents en matière de mobilité : l’Etat, les régions, les métropoles ou les communes.

Créer un choc d’offres articulant toutes les mobilités du quotidien pour favoriser le report modal
Tirer profit des infrastructures de transport existantes et des spécificités locales
Si la composante ferroviaire de ces projets n’est pas exclusive, elle représente néanmoins le point de départ pour de nombreux projets. La loi précise notamment que « le SERM (…) s’appuie prioritairement sur un renforcement de l’offre ferroviaire ». Une majorité des métropoles ayant initié des démarches pour obtenir la labellisation bénéficient d’un réseau d’infrastructures ferroviaires existant et peuvent capitaliser sur des atouts permettant de l’exploiter davantage :
- Le maillage dense et la bonne qualité des infrastructures permettent de développer des projets sans surcoûts d’investissement : l’indice de vétusté et le taux d’électrification des zones concernées par les projets de SERM sont meilleurs que la moyenne nationale
- Les degrés d’utilisation des infrastructures ferroviaires des métropoles porteuses de projets de SERM sont inférieurs à ceux d’Île-de-France ou de certaines métropoles à l’étranger. Dans certaines métropoles, les amplitudes horaires des trains pourraient elles aussi être nettement augmentées. Par exemple, dans le cadre du SERM du bassin de Mobilité Régional Toulousain, 121 trains supplémentaires sont prévus d’ici fin 2032 avec un cadencement des trains de 5h à 23h et des passages toutes les 10 minutes aux heures de pointe.
Les projets de SERM évoluent progressivement pour mobiliser un panel plus large de solutions dans les territoires, correspondant aux habitudes des usagers et répondant à leurs attentes :
- Le car express représente une réponse efficace et complémentaire au train pour les déplacements entre centres et périphéries des agglomérations. Dans le cadre de son SERM, la Métropole de Tours Val-de-Loire espère diminuer de 20 % l’autosolisme en doublant la part modale des transports en commun à horizon 2035. En 2021, la Métropole a ainsi signé avec Vinci Autoroutes la première convention Autoroute Bas Carbone permettant la création de voies spécifiques aux cars express et aux covoitureurs sur l’autoroute A10.
- Le vélo constitue également une solution pertinente – en termes d’émissions de gaz à effet de serre, de congestion, de bénéfice pour la santé – et permet un gain de temps tangible : en ville, sur les distances de moins de 5 km, le vélo est en effet aussi rapide que la voiture. Les projets de SERM constituent une opportunité d’étendre le périmètre du vélo via 3 dispositifs : les réseaux express vélo (REV) dans les centres urbains (à ce jour 16 des 26 projets SERM en prévoient), les véloroutes dans les périphéries et le déploiement du vélo comme moyen de rabattement vers les gares ferroviaires et routières. Clermont Auvergne Métropole, qui possède le 3ème système de vélos en libre-service après Paris et Lyon, a ainsi développé un réseau cyclable structurant accompagné par une signalétique dédiée.
- Le covoiturage – partage d’un véhicule privé – et l’autopartage – location d’un véhicule en libre-service – constituent également des solutions pertinentes à combiner aux autres. Alors que 86 % des voitures individuelles ne transportent qu’une seule personne, le potentiel du covoiturage est conséquent et ses gains pourraient être rapides : réduction immédiate du trafic, de la pollution de l’air et de la pollution sonore. Le plan covoiturage dévoilé en 2022 fixait comme objectif de multiplier par trois les trajets du quotidien covoiturés d’ici 2027. Dans la métropole de Toulouse, les premières évaluations budgétaires fixent le coût du SERM toulousain à 4,6 milliards dont 553 millions orientés vers les opérations non-ferroviaires qui favorisent l’intermodalité comme le covoiturage
Le défi de l’intermodalité : vers la Mobility as a service
La multimodalité et l’intermodalité sont au cœur de la réflexion des SERM pour penser des nœuds de mobilité efficaces. Ces multiples interfaces posent un triple enjeu :
- La coordination entre les acteurs car l’intermodalité fait apparaître les limites de responsabilité entre les différentes autorités organisatrices et rend visible des zones de transition entre les gestionnaires d’infrastructures ou les exploitants de services publics. Elle pose ainsi le risque d’une simple accumulation, désorganisée et coûteuse, des modes de transport.
- La fréquence est le premier critère d’attractivité pour les usagers, quel que soit le mode de transport utilisé.
- La simplicité pour l’usager qui doit naviguer entre plusieurs offres de mobilité. Pour améliorer l’expérience usager, l’instauration d’un titre de transport unique permettant d’accéder à tous les modes de transport sur un périmètre donné et un levier fondamental. Le déploiement d’un pass intégral dans la métropole Aix-Marseille Provence est ainsi en cours pour adapter la billettique à cette métropole « polycentrée ».
Pour répondre à ces enjeux, la mise en place progressive de plateformes numériques nourries en temps réel par les données des utilisateurs et des gestionnaires permet d’entrevoir des offres de mobilité plus simples, intégrées et unifiées, c’est le concept de Mobility as a service (Maas). Certaines AOM, comme Ile-de-France Mobilités incitent ainsi les opérateurs à mettre à disposition leur données en libre accès. Cette information centralisée est un moyen de faciliter l’accès à l’information et d’augmenter l’attractivité des SERM. En effet, pour trois usagers sur quatre le manque d’information peut décourager de prendre les transports.
Des projets de coopération qui nécessitent de faire évoluer l’approche des grands projets d’infrastructures de transport
Une approche territoriale et centrée sur les usagers pour éviter l’inertie des grands projets d’infrastructures de transport
Les SERM, en développant une approche transverse des mobilités du quotidien, permettent de réexaminer la pertinence des projets de transport, non pas dans leur capacité à apporter individuellement des gains pour la collectivité mais en les considérant comme une composante singulière concourant à l’atteinte des objectifs globaux visés, en règle générale le report modal. Ces initiatives offrent une opportunité stratégique pour toutes les parties prenantes de formaliser une vision partagée de la mobilité et de l’aménagement du territoire et de sécuriser la réalisation des projets. Dans la métropole lilloise, le Réseau Express des Hauts-de-France est désormais intégré dans le projet de SERM.
Pour cela, les SERM doivent répondre à une double attente :
- Celle des usagers qui, en tant qu’utilisateurs finaux, sont les « maîtres d’usage » des projets de SERM. La mise en œuvre d’un processus de concertation citoyen peut permettre de définir clairement leurs attentes et susciter leur adhésion. Dans le cadre du projet Liaisons Nouvelles Ouest Bretagne – Pays de la Loire (LNOBPL), la SNCF Réseau a ainsi mené une phase de concertation volontaire complémentaire au débat public complétés par un forum participatif et des dispositifs physiques sur des ateliers thématiques.
- Celle des collectivités, agissant en tant qu’autorité organisatrice des mobilités, gestionnaire de voiries ou au titre de leurs compétences en urbanisme, sont les interlocuteurs privilégiés et les relais du projet au sein du territoire, connaissant les atouts et les contraintes des projets envisagés, les besoins en mobilité des habitants et les perspectives d’aménagement du territoire.
Dépasser l’approche par périmètre de compétence : vers un pilotage des SERM en mode projet
Les SERM se situent à la croisée de nombreuses compétences :
- les régions ont le rôle de chef de file de la mobilité, et sont responsables de l’organisation des services de transport ferroviaires,
- les communautés d’agglomération, les communautés urbaines, les métropoles, sont les autorités compétentes en matière de mobilité sur leur territoire,
- les conseils départementaux et les communes ont sous leur responsabilité la voirie,
- les syndicats mixtes, quant à eux, regroupent plusieurs AOM et organisent les transports publics urbains et la mobilité partagée
Pour répondre à cet enjeu de gouvernance, les récentes évolutions législatives instaurent un nouveau cadre qui dépasse l’approche par périmètre de compétence, cloisonnant les compétences en fonction du territoire et du mode de déplacement. La loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU) adoptée en 2000, puis la LOM, ont offert aux AOM la possibilité de se regrouper pour renforcer la cohérence des politiques de mobilité et favoriser la péréquation des moyens. La LOM a également mis en place une démarche de contractualisation à l’échelle des bassins de mobilité entre les AOM locales et la Région, avec le Contrat Opérationnel de Mobilité (COM).
La loi SERM va plus loin en donnant la possibilité à la SGP, sur demande de la région et des AOM concernées, d’intervenir en tant que maître d’ouvrage pour faciliter la gouvernance. L’objectif de la loi est de faire émerger une nouvelle approche pour les projets de mobilité, dans laquelle tous les acteurs impliqués coopèrent et se coordonnent dans leur action, moins concernés par la répartition des compétences que par le résultat d’offre de service qu’elle doit permettre.

Des promesses qui risquent de rester lettre morte sans les financements associés
Les 26 projets de SERM devraient nécessiter un investissement total avoisinant les 45 milliards d’euros. Les contrats de plan État-Régions (CPER) ont commencé à être mobilisés pour les SERM avec un budget de 1,6 milliard d’euros, incluant les contributions de l’État et des collectivités, pour la période 2024-2028. Ces fonds sont principalement destinés à des études et à des opérations limitées. Les contrats de plan des périodes 2029-2033, 2034-2038 et 2039-2043 pourraient s’élever à environ 1 milliard d’euros par an.
Outre les subventions publiques, la législation autorise le recours à l’emprunt, grâce à l’affectation d’une fiscalité locale spécifique et adaptée à chaque territoire. Ce mécanisme s’inspire des modèles de financement utilisés pour les futures lignes à grande vitesse et le Grand Paris Express. Ainsi, la Société des Grands Projets pourrait bénéficier des recettes fiscales approuvées par les collectivités locales et emprunter sur les marchés financiers à des taux avantageux, en raison de son statut d’Établissement Public à caractère Industriel et Commercial (EPIC).
La question du financement de ces grands projets reste encore en suspens et fait poser le risque de leur remise en cause. Cette question est au cœur d’Ambition France Transport, la conférence nationale sur le financement des mobilités qui se tient jusqu’à mi-juillet 2025. Plusieurs pistes émergent pour apporter des réponses au besoin de financement : faire en sorte que le versement mobilités (contribution financière payée par les employeurs) ne soit plus conditionnée à une ligne régulière mais ouvert aussi aux transports irréguliers (covoiturage, transport à la demande) plus légers et plus à la portée des AOM, instaurer une taxe sur les bureaux sur le modèle francilien ou encore mobiliser les fonds européens.
Entre les nouvelles modalités de coopération et les options de financement, les SERM ont enclenché un vaste champ de réflexions qu’il sera important de suivre pour évaluer la capacité de mise en œuvre des ambitions évoquées.
[1] Véhicules électriques, poids lourds, bus mais aussi bateaux et vélos
[2] Stationner son vélo pour monter dans un bus ou un train, faire du covoiturage pour rejoindre la gare TER la plus proche