Ce 26 septembre 2019, par un ultime vote au Sénat, la France ajoute un nouvel opus à son corpus de textes traitant des problématiques énergétiques et environnementales : la loi relative à l’énergie et au climat. Alors que l’Amazonie brûle, que les derniers modèles pour le GIEC sont toujours aussi alarmants et que les lycéens manifestent tous les vendredis dans la rue, ses détracteurs lui reprochent de n’être qu’une « petite loi », un texte manquant d’ambition, ne répondant pas aux enjeux et à la gravité du moment.

Si ce texte s’inscrit bien dans le prolongement de l’Accord de Paris et des engagements déjà pris par la France pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre et s’engager dans la transition énergétique, il n’a cependant pas pour ambition de remplacer la dernière grande loi adoptée en France sur ces sujets, la loi relative à la transition énergétique pour une croissance verte (LTECV, 2015). On peut d’ailleurs douter que cela soit souhaitable. En revanche, il comprend un certain nombre d’ajustements techniques utiles et introduit quelques modifications institutionnelles qui ne sont pas inintéressantes du point de vue de l’équilibre des pouvoirs et du fonctionnement démocratique de notre pays.

Une loi technique et utile

La loi énergie climat doit tout d’abord son surnom de « petite loi » à son but premier, annoncé par le gouvernement : décaler de 2025 à 2035 la réduction à 50% de la part du nucléaire dans la production électrique. La date de 2025 ayant été fixée par la loi, seul un texte d’une valeur égale ou supérieure dans la hiérarchie des normes pouvait la modifier. Il fallait donc obligatoirement passer par le Parlement. De quelques articles initialement, la loi s’est finalement enrichie au fur et à mesure de son parcours sous l’influence du contexte (nécessité de transposer les textes européens récemment adoptés, annonces du Président de la République à la suite du Grand Débat concernant le Haut conseil pour le climat, etc.) et de ses rapporteurs[1], désireux de laisser leur empreinte sur le texte.

Les grands objectifs climatiques et énergétiques de la France, tels que définis ou mis à jour à l’article 1er du projet de loi. Entre parenthèse les objectifs modifiés par le texte

Ainsi, outre l’article 1er qui reprend un certain nombre d’objectifs chiffrés pour la politique énergétique (voir figure ci-dessus), la loi comprend aujourd’hui des dispositions certes très diverses et techniques – donc peu porteuses en termes de communication grand public – mais utiles pour chacune des filières concernées, en ce qu’elles précisent, complètent ou corrigent des dispositifs. On peut en citer quelques exemples :

  • La loi définit les “communautés d’énergies renouvelables”. La nouvelle directive européenne sur les énergies renouvelables prévoit en effet le développement de communautés énergétiques. En France, cette notion n’était pas encore définie. C’est désormais chose faite. Cette entité juridique autonome pourra « produire, consommer, stocker et vendre de l’énergie renouvelable, y compris par des contrats d’achat d’électricité renouvelable » et « partager au sein de la communauté » cette énergie. En revanche, elles ne pourront « ni détenir ni exploiter un réseau de distribution », précision que le Parlement a souhaité inscrire dans la loi et que la directive laissait au libre choix de chaque pays membre. Cet outil – qui fera l’objet d’un décret en Conseil d’État – devrait contribuer à développer l’autoconsommation photovoltaïque collective ponctuellement développée.
  • Pour ce qui est de la rénovation énergétique du bâtiment, mis en place d’un dispositif incitatif (dès 2022) puis contraignant (à partir de 2028) pour les propriétaires de « passoires thermiques » : ces derniers auront l’obligation d’avoir réalisé en 2028 des travaux d’amélioration de la performance énergétique de ces logements.
  • Quant aux fournisseurs d’électricité, ils voient abrogée leur obligation de mettre à disposition gratuitement des consommateurs les plus précaires un afficheur déporté des données de consommations en temps réel et en euros. Inscrite dans la LTECV mais jamais appliquée, cette disposition s’avérait plus coûteuse que prévue, du fait notamment de l’augmentation du nombre de bénéficiaires du chèque énergie. Les fournisseurs ont désormais simplement une obligation de mise à disposition des données de consommation, peu importe le moyen (application sur ordinateur, tablette et smartphone, afficheur déporté, etc.).
  • Enfin, le texte met en avant, aux côtés de la production d’électricité hydraulique ou issue d’éoliennes en mer, l’hydrogène comme moyen d’atteindre les objectifs d’EnR dans le mix énergétique. L’hydrogène bas-carbone et renouvelable devra représenter environ 20 à 40 % des consommations totales d’hydrogène et d’hydrogène industriel à l’horizon 2030. Pour cela, le gouvernement est habilité à définir, par ordonnance, un cadre de soutien applicable à l’hydrogène produit à partir d’énergie renouvelable ou par électrolyse de l’eau à l’aide d’électricité bas carbone.

De l’inutilité de l’inflation législative

Si certains regrettent un texte « vide de sens » (Réseau action climat) et réclament un « plan Marshall » pour le climat (Fabien Gay, sénateur communiste), on peut raisonnablement se demander si la réponse à l’urgence climatique passe nécessairement par une nouvelle grande loi énergétique. En effet, outre le fait qu’aucun texte législatif français quel qu’il soit ne peut à lui seul régler la question climatique, il faut se rappeler que la dernière grande loi traitant de ces problématiques, la loi relative à la transition énergétique pour une croissance verte, est âgée d’à peine quatre ans. Plusieurs textes réglementaires d’application ainsi que leur traduction concrète dans la réalité manquent encore à l’appel. Comme l’expliquait Mme Josseline de Clausade, conseiller d’Etat, à l’occasion de la sortie du rapport annuel public du Conseil d’État en 2006, nous cultivons en France une « vision idyllique de la loi » « persuadés qu’elle est (…) un remède à tous les maux, une solution miracle pour toutes les difficultés »[2]. Cette tendance dictée à la fois par une tradition historique et culturelle profonde et l’impératif de communication politique porte en elle certains travers : complexité, instabilité, perte de légitimité et de confiance des citoyens dans leurs législateurs.

Au-delà de cette problématique de sécurité juridique, force est de constater que le texte adopté définitivement le 26 septembre a fait l’objet d’un accord entre les deux assemblées, pourtant de majorité politique différente. Ce fait, relativement rare, témoigne que ces sujets font globalement aujourd’hui consensus parmi nos élus. Le texte dans son état actuel satisfait les principales forces en présence au Parlement.

Un progrès démocratique à mettre à l’épreuve de la pratique

Au-delà des questions techniques évoquées ci-dessus, la principale avancée de la loi Énergie Climat semble être le retour du Parlement au centre de la définition de la politique énergétique et climatique française. A partir de 2023, puis tous les cinq ans, une loi devra en effet déterminer les objectifs et fixer les priorités d’action de la politique énergétique nationale à cinq, dix et quinze ans. Cette loi devra préciser les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), de consommation énergétique finale et de consommation énergétique primaire fossile. Elle fixera les niveaux minimal et maximal des obligations d’économies d’énergie et les objectifs de développement des énergies renouvelables (pour l’électricité, la chaleur, le carburant et le gaz). Les objectifs de diversification du mix de production d’électricité seront précisés pour deux périodes successives de cinq ans. Enfin, la loi détaillera les objectifs de rénovation énergétique dans le secteur du bâtiment et les objectifs permettant d’atteindre ou de maintenir l’autonomie énergétique dans les départements d’outre-mer. La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), la stratégie nationale bas carbone (SNBC) ainsi que le budget carbone, textes planificateurs existant d’ores et déjà aujourd’hui et adoptés par décret, devront être compatibles avec cette loi. Enfin, avant le 1er octobre 2019, le Gouvernement devra remettre au Parlement un rapport sur les incidences positives et négatives du projet de loi de finances pour 2020 sur le réchauffement climatique. Ce rapport devra préciser les limites de l’analyse conduite, « de manière à ce que le Parlement puisse étudier l’opportunité de reconduire annuellement l’exercice ».

Cette évolution de gouvernance, voulue par le Parlement et acceptée par le Gouvernement, donne un rôle supplémentaire aux parlementaires – et donc au débat démocratique – sur des questions qui sont cruciales pour l’avenir de notre société et pour une majorité de Français. Alors qu’on observe le poids croissant des citoyens dans le débat public et l’importance des questions d’acceptabilité pour les projets industriels du secteur, on ne peut que s’en féliciter.

S’il faudra attendre la pratique pour voir comment les députés et sénateurs se saisiront de cette opportunité, ce changement institutionnel demandera très certainement aux acteurs d’être particulièrement vigilants aux débats parlementaires. Chaque rendez-vous législatif constitue en effet un véhicule possible pour des dispositions normatives, et donc une opportunité ou un risque. Ainsi, cette loi quinquennale offrira à partir de 2023 un rendez-vous parlementaire régulier, qui en fonction des contextes politiques (changement des rapports de force politiques par exemple à la suite de l’introduction de la proportionnelle) et de l’actualité revêtira une importance plus ou moins cruciale pour les entreprises.

[1] Anthony Cellier à l’Assemblée et Daniel Gremillet au Sénat

[2] Source : Extraits d’un entretien accordé par Mme Josseline de Clausade, conseiller d’Etat, rapporteur général de la section du rapport et des études du Conseil d’Etat, à la revue JCP/La semaine juridique – Édition générale n° 12 (22 mars 2006).