12 mai 2021. Les députés français approuvent l’instauration de quotas au sein des entreprises de plus de 1 000 salariés : les femmes devront désormais représenter au moins 30% des cadres dirigeants et membres des instances dirigeantes en 2027, puis 40% en 2030. Une « étape historique en France pour l’égalité entre les femmes et les hommes » selon Elisabeth Moreno, ministre chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes.

Emmanuel Macron s’y était engagé lors du G7 à Biarritz en 2019, l’Assemblée nationale l’a voté. Portée par Marie-Pierre Rixain, députée LREM et présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité en première lecture et doit maintenant être transmise au Sénat.

S’il peut être un véritable levier de performance, la parité de genre nécessite cependant un changement culturel majeur, du temps et une proactivité des entreprises pour adapter les politiques et pratiques.

Diversité de genre et inclusion : un sujet devenu stratégique

Le monde de l’entreprise connaît depuis déjà plus de 10 ans un engouement important pour les politiques de « diversité et d’inclusion ». En quelques années, ces deux concepts sont devenus des axes stratégiques des entreprises du CAC 40, avec un focus particulier sur la diversité de genre : l’inclusion des femmes en entreprise n’est plus une problématique sociale, mais bel et bien un levier important de performance. Les agences de notation telles que Standard & Poor ou EQUILEAP ont d’ailleurs intégré les indicateurs de diversité des effectifs dans leurs critères d’évaluation globale des entreprises. L’agence Bloomberg a quant à elle créé un indicateur dédié de plus en plus regardé : le « Gender-Equality Index ».

Si Sodexo, Danone ou encore Orange se placent en expert de la diversité et travaillent depuis plus de 10 ans sur l’inclusion des femmes dans leurs effectifs, les entreprises du secteur de l’énergie ont elles mis plus de temps à afficher des objectifs ambitieux et à assumer leur volonté de féminiser leurs effectifs. Pourtant, les avantages sont bien là :

Avantages de la féminisation des effectifs : la preuve en chiffres 
Performance de 
l’entreprise
Rétention et attraction des talents
Innovation et créativité

Au-delà des résultats d’enquêtes et de perception des employés, de nombreuses études montrent que les entreprises plus diverses sont statistiquement plus performantes. Des études longitudinales, comme celle de l’indice Femina (voir illustration ci-après), ont ainsi établi une corrélation positive entre le nombre de promotions de femmes à des postes de direction et la rentabilité des entreprises sur 20 ans [1].

féminisation entreprises Fémina indice bourse avantages statistiques
l’évolution des dix ou quinze entreprises du CAC 40 dans lesquelles la proportion de femmes dans l’encadrement est supérieure à 40 %. Chaque année, un rapport sur les performances des entreprises en liaison avec leur féminisation est publié.
Périmètre :  Accor, Axa, Natixis, BNP Paribas, Danone, Hermès, L'Oréal, LVMH, Sodexo, Kering, Gecina, Teleperformance, Sanofi, Société Générale, CreditAgricole.

Des politiques diversité et inclusion encouragées par la loi

Au-delà de l’intérêt Business que représente la diversité de genre, les entreprises françaises sont depuis 10 ans surtout incitées à progresser dans ce domaine à travers l’évolution du cadre juridique, avec des obligations qui varient en fonction de leur taille.

En particulier, la loi portée par Jean-Francois Copé et Marie-Jo Zimmermann impose depuis Janvier 2011 un quota de 40% de femmes dans les conseils d’administration des grandes et moyennes entreprises. Depuis, la féminisation progresse, lentement mais surement : le taux de femmes dans les conseils d’administration en France est passé de 26,2% en 2013 à 43,4% en 2018, pour atteindre 45% en 2019 [2].

entreprises féminisation cadre juridique
Loi Copé-Zimmermann : 40% de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance
Représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance.
Les entreprises cotées, les sociétés de plus de 500 salariés ou avec un CA > 50 millions d’Euros doivent respecter un quota de 40% de femmes dans leur conseil d’administration et conseils de surveillance des entreprises.

Toutes les entreprises doivent renforcer leurs négociations d’entreprise et de branche pour favoriser l’égalité professionnelle.
Elles doivent respecter la réforme du congé parental et favoriser le partage des responsabilités parentales.
La parité doit aussi être respectée au niveau des fédérations sportives, des mutuelles et de tout autre secteur de la vie sociale des salariés.
Toutes les entreprises doivent prévoir une négociation annuelle portant sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail.
Toutes es entreprises doivent assurer des rémunérations égales entre les hommes et les femmes pour un travail identique ou à valeur égale.
Annuellement, les entreprises de 50 salariés et plus doivent publier l’index d’égalité hommes femmes et les actions mises en place pour la favoriser. Des droits à la formation doivent être octroyés de manière égalitaire entre les femmes et les hommes, qu’ils soient à temps complet ou partiel.

Si ces chiffres sont encourageants, il n’en est pas encore de même lorsqu’on s’attarde sur le taux de femmes managers au sein des entreprises françaises, notamment dans le secteur de l’énergie : elles peinent à atteindre 20% de femmes dites « cadres ». Si on regarde ces mêmes taux pour les métiers techniques, ou en école d’ingénieurs, les chiffres sont encore plus bas : moins de 30% de femmes dans les effectifs en 2020. La loi votée à l’Assemblée nationale ce mercredi 12 mai 2021 devrait donc donner une nouvelle impulsion décisive à la diversité de genre, à l’image de sa grande sœur de 2011. Pour la suite, le débat persiste quant à la nécessité de légiférer pour les niveaux hiérarchiques inférieurs aux conseils d’administration et de surveillance. L’élargissement des quotas au sein de ces derniers pour l’ensemble des entreprises françaises est aussi en discussion.

Vers un changement culturel ?

Atteindre la parité de genre nécessitera toutefois bien plus qu’un cadre législatif renforcé : c’est un changement culturel majeur qui est attendu de la société dans sa globalité – et des entreprises du secteur de l’énergie en particulier[3]. Pour ce secteur très riche en métiers techniques, la féminisation est un défi en soi : les entreprises doivent être encore plus proactives. Une course à l’attraction, la promotion et la rétention des femmes dans le secteur est lancée. Le changement culturel est donc à l’œuvre, comme par exemple chez ENGIE qui, avec son programme Fifty-Fifty, souhaite atteindre la parité managériale d’ici 2030 : cet indicateur de performance extra-financier de rang 1 se place, pour l’entreprise, au même niveau que son objectif zéro-carbone.

Alors, que faut-il faire concrètement au sein des entreprises ? « On crée un environnement de travail inclusif ! Et on travaille sur toutes les phases de la vie d’un employé : de l’attraction au recrutement, en passant par la formation… jusqu’à la rétention », nous explique Renata Spada, leader du programme Fifty-Fifty chez ENGIE. On distingue en effet « diversité » et « inclusion ». La diversité est en place lorsque des employés de pays, cultures et genres différents sont représentés. « L’inclusion, elle, est présente lorsque tous les employés sont à l’aise et au même niveau pour donner leur avis lors d’une réunion», indique Dorothy Dalton, Consultante en Talent Management, coach et experte en diversité et inclusion. « Sans inclusion, la diversité ne peut exister sur le long terme ».

Selon Renata Spada, la trop faible représentation des femmes en entreprise, et en particulier dans le secteur de l’énergie, est en partie le résultat de notre environnement culturel, et c’est justement ce qu’il faut travailler auprès des collaborateurs. « Chez ENGIE, au-delà de l’objectif chiffré de 50% de femmes managers, nous mettons en place des actions afin de renforcer l’ancrage culturel et de faire évoluer les pratiques managériales dans la durée vers un leadership plus inclusif ».Quant à la problématique des métiers plus techniques, l’entreprise y consacre des actions ciblées

« Les filles s’autocensurent dès le plus jeune âge, en choisissant des études et métiers qui leurs sont destinés. Mais tous les métiers leur sont destinés. Nous travaillons en collaboration avec les écoles et sur notre marque employeur afin d’attirer les jeunes femmes et de créer une nouvelle dynamique ».

Renata Spada, leader du programme Fifty-Fifty chez ENGIE

Un focus tout particulier est également porté sur la rétention : « les talents féminins sont chassés par d’autres entreprises du secteur de l’énergie, nous devons leur offrir un parcours de carrière attractif afin de les garder et de les faire évoluer, chez nous ». Enfin, pour réaliser tous ces changements, le sponsorship du top management est clé. Les leaders de demain doivent désormais reconnaitre et valoriser la diversité des genres et booster la carrière de tous leurs employés en créant des parcours attractifs pour les femmes et les hommes.

“Si vous excluez 50% du bassin de talents, il n’est pas étonnant que vous vous retrouviez dans une guerre pour les talents.”

Theresa J. Whitmarsh, directrice exécutive du Washington State Investment Board

Et pour commencer ? Zoom sur les biais inconscients

Favoriser la diversité de genre et l’inclusion en entreprise est un métier à part entière, qui nécessite stratégie et plan d’action. Mais que peut-on déjà faire à son échelle ? Les experts recommandent de commencer par prendre conscience de ses propres biais inconscients, qu’ils considèrent comme le plus grand frein à la diversité de genre en entreprise.

Les biais inconscients, ou plus généralement, les biais cognitifs sont des mécanismes de pensée agissant sur votre perception et sur votre jugement. Ces biais ne sont en général pas conscients mais vont induire en erreur votre perception, votre évaluation ou encore votre interprétation logique. Il existe tous types de biais, mais ceux qui sont responsables d’une partie de l’inégalité de genre au travail sont les biais de jugement liés aux stéréotypes : ils vont biaiser notre analyse d’un comportement, d’un CV, d’un entretien. Ils sont le résultat de ce que nous avons intégré pendant des années à l’école, à la maison, dans la rue. Tout le monde a des biais et nous sommes tous amenés à discriminer sans le savoir.

Pour en limiter l’impact, il existe plusieurs solutions. Prendre conscience de ses propres biais est une première étape. En entreprise, la diversité des opinions permet aussi de limiter voire d’annuler en partie les biais inconscients, et les conséquences qu’ils peuvent avoir. Là encore, les statistiques et la sociologie nous le prouvent (voir illustration ci-dessous).

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Le théorème de la diversité, découvert par le sociologue Scott Page, prouve que l'intelligence d'un groupe résulte autant de la diversité des points de vue que de la finesse des analyses. Même une analyse superficielle peut contribuer à la performance du groupe tant qu'elle augmente la diversité des points de vue.

En conclusion : un enjeu de performance… et une vraie science humaine

Les avantages de la diversité de genre en entreprise, mais aussi de toute forme de diversité, sont indéniables, tant pour la performance de l’entreprise que pour l’ensemble des employés, femmes ou hommes.

Féminiser les effectifs dans le secteur de l’énergie nécessite un changement culturel majeur et un travail de longue haleine : le changement ne peut se faire en peu de temps et les résultats ne seront pas immédiats. Il faut s’armer de patience, former ses équipes RH et l’ensemble des employés à la diversité et l’inclusion, et commencer par une phase de sensibilisation qui permettra ensuite de déployer un plan d’action : c’est un sujet business qu’il faut traiter comme tel, mais c’est aussi une science humaine.

Enfin, il faut rappeler que les hommes font partie intégrante de ce processus. La diversité de genre en entreprise, ce n’est pas l’exclusion des hommes, un quelconque frein à leur carrière ou le recrutement de femmes pour respecter des quotas. C’est simplement plus de concurrence sur le marché du travail et des avantages sur le long terme pour la performance de votre entreprise.


D’ici là… une touche d’humour…

et quelques liens utiles :


[1] Adler, R. (2009). Profit, thy name is … woman? Pacific Standard: The Science of Society

[2] Égalité femmes-hommes: une proposition de loi veut imposer des quotas en entreprises, Le Figaro, 8 mars 2021 

[3] Energy and Gender: A critical issue in energy sector employment and energy access, IEA reports in 2019 and 2020