Les SMR (Small Modular Reactors), réacteurs modulaires dont la puissance est comprise entre 10 et 300 MW (vs. 1 660 MW pour un EPR), sont présentés comme la promesse d’un nucléaire plus compact, moins cher et plus sûr. Plusieurs pays semblent déjà convaincus, comme les Etats-Unis, le Canada, le Royaume-Uni[1] ou encore la France (50 millions d’euros inclus dans le Plan de Relance) qui ont fait le choix de dédier une part de leur enveloppe nucléaire à leur développement. Est-ce un effet de mode du « small is beautiful » qui les porte aujourd’hui ou incarneront-ils un concept viable et innovant pour l’avenir du nucléaire ?

L’origine du SMR : constat des nouveaux enjeux du nucléaire

Avec des projets toujours plus puissants et toujours plus coûteux, le schéma économique actuel du nucléaire (cf. encart) en fait une énergie « réservée » aux pays riches. En atteste l’EPR, jusqu’alors considéré comme la pierre angulaire du nucléaire du futur dont les chantiers de Flamanville et Olkiluoto accusent des retards de plus en plus importants et dont les coûts initiaux ne cessent d’être dépassés.

les projets nucléaires font face à plusieurs problématiques : coûts d'investissements élevés, projets longs à réaliser, sûreté à assurer

Ce constat n’est toutefois pas nouveau et les Etats concernés en sont conscients : déjà en 2001, une réflexion internationale autour de l’initiative du US Department of Energy était lancée dans l’optique de donner une nouvelle dimension à la filière des réacteurs électrogènes : le nucléaire doit évoluer pour être une énergie propre, durable, sûre et rentable. C’est dans cette logique que les SMR ont été pensés.

Un modèle économique revisité : esquisse d’un nucléaire à moindre coût ?

Pour éviter les écueils du « gros nucléaire », le schéma économique théorique des SMR suit trois concepts : la modularité, la production en série et la standardisation.

trois leviers du modèle économique des SMR : modularité, production en série, standardisation
petit nucléaire modulaire

Ces trois leviers sont théoriques puisqu’aucun SMR n’est aujourd’hui produit en série. Il existe donc encore des incertitudes sur leurs coûts réels et sur la différence de coûts entre le 1er et le Neme réacteur de la série –  dont le recul permettrait de confirmer si oui ou non les économies annoncées sont réelles.

Du « petit nucléaire » pour de nouveaux besoins

Outre la réduction des coûts de production, le SMR a été pensé pour favoriser le développement de projets de moindre puissance et ainsi de permettre à de nouvelles zones géographiques d’avoir accès à cette source d’énergie. Le SMR permettrait d’ouvrir le nucléaire à des zones ne pouvant être approvisionnées aujourd’hui du fait d’un réseau de trop faible puissance pour être en capacité d’intégrer l’énergie produite par les réacteurs actuels ou à des zones non interconnectées.

Il permettrait également de proposer de nouvelles alternatives à l’utilisation du nucléaire, aujourd’hui en grande partie dédié aux usages électrogènes. Ces autres usages répondraient aux besoins de consommation en termes de chauffage urbain, de dessalement d’eau de mer ou encore de raffinage des hydrocarbures par exemple. Le SMR est également présenté comme une solution de remplacement aux installations fossiles[2] et comme présentant un potentiel de complémentarité des énergies renouvelables, intermittentes par nature.

Plusieurs prototypes de petits réacteurs modulaires sont aujourd’hui recensés à travers le monde, chacun à des phases plus ou moins avancées. Le seul SMR opérationnel est déployé sur une barge flottante au large de la ville portuaire de Pevek (Russie).

cartographie des SMR small modular nuclear France Royaume-Uni Finlande Danemard Suède République Tchèque Russie Etats-Unis Canada Argentine

Plusieurs étapes restent à franchir pour que le SMR soit l’avenir du nucléaire

Des interrogations sur la mise en œuvre industrielle des SMR restent aujourd’hui en suspens du fait du stade encore peu avancé de la plupart des réacteurs. En effet, le SMR devra faire ses preuves d’un point de vue industriel pour répondre à la promesse de réduction des coûts du modèle théorique. Par ailleurs, ces réacteurs devront prouver leur adaptabilité et leur capacité d’intégration aux réseaux des pays intéressés. Parmi ceux-ci, plusieurs présentent des conditions géographiques et climatiques différentes de celles des pays disposant actuellement du nucléaire.

Au-delà des contraintes techniques et des ambitions annoncées, les cartes maîtres que sont la diplomatie, la politique et les autorisations des autorités de sûreté nucléaire (ASN) ne sont pas jouées d’avance.

Au niveau international, une harmonisation des politiques de sûreté sera une nécessité préalable à tout développement du SMR à l’échelle industrielle : si le SMR a pour vocation d’être du nucléaire d’export – comme le présente la France notamment –, les différentes ASN à travers le monde devront aligner leurs normes et leurs exigences de conformité et les contrats devront être identiques pour tous les pays. L’accès au nucléaire de certains pays intéressés par les SMR doit également être traité d’un point de vue du droit international et ne peut pas être considéré comme tout autre marché industriel.

Par ailleurs, une production en série n’a de sens que si elle est soutenue au-delà du cadre national. Bien que la France s’appuie sur un consortium fort de connaissances et d’expériences nucléaires et que quelques pays européens annoncent des esquisses de projets, aucune initiative européenne n’est lancée. Des choix devront donc être faits pour que cette technologie existe sur la scène internationale : la France a par exemple entamé des échanges avec l’américain Westinghouse pour étudier une coopération en matière de développement de petits réacteurs modulaires[3] en vue de pouvoir intégrer des solutions pour le nucléaire avancé de demain.

Le SMR français Nuward serait le plus compact du marché, selon EDF et le CEA
Le SMR français Nuward serait le plus compact du marché, selon EDF et le CEA

Le SMR semble ainsi cocher une grande partie des cases pour pallier les contraintes du « gros nucléaire ». Il n’en reste pas moins que le chemin est encore long pour que son déploiement devienne industriel. Lors de son discours au Creusot en décembre 2020, Emmanuel Macron avait avancé que « notre avenir écologique et énergétique (…), notre avenir stratégique, notre statut de grande puissance, passent (…) par la filière nucléaire ». La France, grâce au NuWard, saura-t-elle et souhaitera-t-elle garder sa place de fleuron de cette industrie peu émettrice de CO2 ?


[1] World Economic Forum, janvier 2021

[2] « Nucléaire : comment EDF compte revenir dans le match des petits réacteurs » Les Echos, avril 2021