Zéro : c’est le nombre d’émissions nettes de CO2 qui devra être atteint d’ici 2050 en France pour répondre à la Stratégie Nationale Bas Carbone. Un véritable défi pour le secteur des transports, qui représente aujourd’hui près de 31% des émissions françaises de gaz à effet de serre.
C’est dans ce contexte que la Convention citoyenne pour le climat a proposé de renforcer le système de bonus / malus sur les véhicules, en prenant en compte le critère de leur poids. Partant du principe que plus un véhicule est lourd, plus il entraine d’externalités négatives, dont la pollution directe et indirecte, la convention a proposé de placer le seuil à 1400 kg. Une idée que le gouvernement a repris dans son projet de loi de finance le 13 novembre dernier, à la différence près que le seuil de 1800 kg a été retenu. Un détail qui n’en est pas un, car en faisant gonfler le seuil de 400kg, aucun SUV (sport utility vehicle [1]) n’entrera dans le malus. Seulement 3 % du parc automobile français sera concerné.
Un paradoxe quand on sait le succès des SUV, dont l’effet de mode semble de plus en plus incompatible avec le respect des engagements climatiques. Pour Bercy, à côté de l’enjeu écologique, se cache bel et bien la question industrielle, et le Ministère craint de mettre en difficultés ses champions automobiles français.
Tous les feux sont au vert pour les SUV
Bien éloignée de nos anciennes deux chevaux, la tendance actuelle est à des véhicules de plus en plus imposants et lourds : en France, en 30 ans, la masse de nos voitures a augmenté de 30% ! Si en 2008, l’instauration du bonus-malus écologique sur les émissions de CO2 a eu pour effet de favoriser les ventes des petites voitures, la croissance des ventes de SUV est rapidement venue gommer cette inflexion.
Comment expliquer ce surpoids ? Il répond, selon les constructeurs, à plusieurs impératifs : d’une part, à l’amélioration de confort pour les usagers, comme en témoignent les catalogues d’options toujours plus volumineux ; d’autre part, à des questions de sécurité ; enfin pour répondre à la demande des clients, dont l’intérêt grandissant pour les véhicules imposants a soutenu le marché des SUV.
Cette mode s’est d’abord implantée chez les milieux aisés et les pôles urbains à la fin des années 2000, avant de s’introduire plus massivement dans les campagnes vers 2014-2015. Résultat : en France, en 10 ans, les SUV ont vu leurs ventes multipliées par sept. Ils représentent en 2019 plus de 38% des ventes de voitures neuves contre 6% en 2009.
Pourquoi ce succès ? Si l’on en croit les utilisateurs, le fait d’être en hauteur renforce le sentiment de sécurité. A cela s’ajoute une silhouette empruntée au 4×4, qui rassure avec sa posture haute et large.
Les constructeurs l’ont d’ailleurs bien compris, et surfent sur cette tendance avec des spots publicitaires vantant les rêves d’aventures en familles qu’offrent ces faux tout-terrains. Un marketing régulièrement pointé du doigt, posant la question de qui de l’offre ou de la demande est le vrai responsable de cette mode. En effet, sur les 3 milliards d’euros annuels dépensés en publicité pour les véhicules vendus en France, la moitié est consacrée aux SUV. Mais le jeu en vaut la chandelle : un SUV génère une marge supérieure d’environ 20 % à son équivalent berline.
L’offre entraine-t-elle la demande, ou est-ce l’inverse ?
Nous ne faisons pas des grosses voitures pour le plaisir de faire des grosses voitures. Nous avons compris que les consommateurs se sentaient plus en sécurité avec une meilleure perspective de leur environnement.
Carlos Tavares, Président du directoire de PSA
Les SUV dans le rétroviseur des écologistes
Depuis quelques années, les émissions de CO2 des véhicules neufs stagnent, voire augmentent. Il est vrai que les progrès technologiques ont permis d’améliorer significativement les performances énergétiques des voitures ; mais dans le même temps, outre la baisse de la part de marché des diesels, la masse des véhicules a augmenté, au point de surcompenser la baisse des émissions de CO2 gagnée par l’optimisation du rendement des moteurs.
Selon WWF, les SUV émettent « en moyenne 20% de GES de plus que le reste des voitures ». Si les performances environnementales des SUV sont si mauvaises, c’est principalement à cause de leur poids et de leur design. Plus lourds et moins aérodynamiques, ils consomment plus d’énergie pour se déplacer. La demande croissante de SUV rend donc plus difficile la tenue des objectifs d’émissions de CO2 fixés par l’Union européenne pour chaque constructeur.
Faut-il taxer les véhicules au poids ?
Si les SUV sont plus rentables pour les constructeurs, les enjeux de décarbonation de la filière automobile posent une difficulté supplémentaire. Les objectifs de réductions d’émissions de CO2 vont être de plus en plus contraignants, et les constructeurs auront de moins en moins de place pour manœuvrer. Des considérations écologiques qui se télescopent donc avec des réalités économiques.
Taxer le poids est-il la bonne solution ? Il faut dire qu’en l’état actuel, le malus sur la pollution des véhicules peut être jugé inefficace car complètement intégré au prix des véhicules. Alors que la Convention Citoyenne proposait de taxer de 10 € par kilo supplémentaire les véhicules au-delà de 1 400 kg, le gouvernement a finalement opté pour un seuil à 1 800 kg. Comme illustré sur le graphique ci-dessous, aucun des 20 modèles de SUV les plus vendus en France en 2019 ne sera alors inquiété.
Toute la complexité réside ici dans la conjugaison entre la nécessité de changement rapide et le maintien d’une filière déjà bouleversée par la crise sanitaire. Difficile, dans ce contexte, de se priver des SUV sur lesquels les constructeurs français comptent pour traverser la crise.
« Il n’y aura pas d’avenir pour la filière automobile en France avec des hausses de taxe », a dénoncé le président de la PFA (Plateforme automobile qui rassemble la filière automobile en France).
Il n’y aura pas d’avenir pour la filière automobile en France avec des hausses de taxe . @PFA_auto @CNPA @la_FIEV @CCFA_Auto https://t.co/b0SvB5NwMS
— Luc CHATEL (@LucChatel) October 14, 2020
Le besoin d’un cadre légal pour anticiper les changements à venir
Selon WWF France, en l’absence de régulation du gouvernement pour endiguer cette tendance, les SUV pourraient représenter les deux-tiers des ventes en 2030, avec un doublement des émissions liées.
Ne pas agir sur le poids des voitures inciterait donc à cette course à l’obésité automobile et priverait la France d’un levier de décarbonation clé.
Le pouvoir politique a un rôle déterminant à jouer pour réorienter l’industrie automobile vers des voitures respectueuses de l’environnement. Si le gouvernement a choisi d’aider financièrement les constructeurs automobiles à traverser la crise sanitaire, cette aide pourrait être une opportunité pour imposer en retour des exigences environnementales.
Pour le président de Renault, le soutien national à la transformation de l’industrie automobile française est primordial.
Nous nous retrouvons brutalement dans une situation où il faut régler ces questions sociales sans avoir pu les anticiper. Nous avons commis une erreur collective. On a le droit de nous demander d’évoluer, de restructurer, d’innover, mais il faut aussi nous donner les moyens d’anticiper
Jean-Dominique Sénard, Président de Renault
En effet, pour la France, qui possède plusieurs champions dans l’industrie automobile, faire des changements rapides est un exercice difficile. Il est donc essentiel de disposer d’un cadre légal lisible et cohérent, afin d’accompagner l’industrie automobile au rendez-vous des futurs standards, tout en lui permettant d’anticiper les changements nécessaires. En utilisant comme levier une taxe sur le poids des véhicules, l’important n’est peut-être pas tant le seuil de départ que le rythme avec lequel ce dernier va être abaissé. En mettant la barre à 1,4T, des constructeurs auraient été pénalisés, sans avoir le temps pour trouver des solutions.
Partant d’un seuil à 1,8T, le gouvernement va maintenant devoir donner une cible à atteindre, et trouver le bon rythme d’abaissement du seuil, qui soit cohérent avec les capacités de transformation des constructeurs.
[1] Automobile bicorps familiale polyvalente, dotée d’une carrosserie surélevée et volumineuse, pouvant posséder des capacités de tout-terrain ou de remorquage élevées