En 2019, une étape significative a marqué le secteur ferroviaire en France : l’ouverture à la concurrence des TER et des Intercités. Un an plus tard, dans un contexte sanitaire et économique complexe – même incertain -, quel premier bilan peut être dressé ? L’ouverture à la concurrence a-t-elle d’ores et déjà porté des fruits ?
Alors que plusieurs régions se sont rapidement investies dans l’ouverture de ce dossier, d’autres ont préféré attendre. Les régions Grand-Est, PACA et Hauts-de-France se retrouvent ainsi sur le podium des projets les plus avancés, avec un total de 8 lots promis à l’ouverture de la concurrence d’ici 2023 ou 2024. Les dossiers des lignes Intercités Nantes-Bordeaux et Nantes-Lyon, gérées par l’Etat, ont également suivi une belle avancée avec la transmission du cahier des charges aux candidats pressentis pour un début d’exploitation en 2022. La majorité des régions a cependant souhaité ne pas s’engager de manière précipitée sur cette voie, préférant attendre les précisions qu’apporteront les futurs décrets d’application de la loi d’orientation des mobilités (LOM) ou encore le retour d’expérience de ses voisines.
Vers des mobilités plus faciles, moins coûteuses et plus propres ?
Grand-Est, PACA et Hauts-de-France sur le podium
Pari réussi pour les régions Grand-Est, PACA et Hauts-de-France qui souhaitaient être moteurs dans l’ouverture à la concurrence ! Crise sanitaire et confinement du printemps, qui auraient pu retarder l’avancée de leurs dossiers, n’ont pas (encore ?) porté atteinte au bon déroulé du calendrier annoncé.
En atteste la décision prise au début de l’été par le Conseil Régional du Grand-Est d’ouvrir « complètement »[1] à la concurrence la ligne Nancy-Contrexéville et une partie des lignes entre Strasbourg et Épinal. La région Hauts-de-France quant à elle a présenté les trois lots sélectionnés pour être soumis à la procédure d’appels d’offres. Celle-ci avait annoncé assez tôt son souhait d’entamer les démarches pour ouvrir au moins 20% de son réseau TER à la concurrence. Voilà chose faite pour les lignes autour de Saint-Pol, la ligne Paris-Beauvais et les axes identifiés comme « à faible qualité de service » actuellement autour d’Amiens.
La région PACA, la première à s’être lancée en décembre 2019 dans l’aventure de l’ouverture à la concurrence, a, de son côté, franchi l’étape décisive du lancement des appels d’offres pour l’Etoile ferroviaire autour de Nice et pour la ligne TER qui relie Marseille, Toulon et Nice. Représentant près de la moitié de la fréquentation du réseau ferroviaire régional, l’enjeu de la réussite de ces dossiers est de taille – d’autant plus que l’offre ferroviaire actuelle est considérée comme « désastreuse » par le Président du Conseil Régional.
Deux lignes Intercités également sur leur lancée
Se trouve également bien placé dans la course, le dossier des lignes Intercités [2] Nantes-Bordeaux et Nantes-Lyon, pour lequel le ministère de la Transition écologique a transmis le 27 juillet dernier le cahier des charges aux candidats présélectionnés (SNCF et Transdev). En effet, le calendrier devient de plus en plus serré avec l’arrivée à terme en fin d’année 2020 de la convention avec SNCF Voyageurs. Un unique candidat sera sélectionné pour assurer la mobilité sur l’ensemble des deux lignes, transportant respectivement 400 000 et 600 000 voyageurs par an. L’Etat a précisé que les autres lignes seraient gérées par la SNCF, comme aujourd’hui, jusqu’à nouvel ordre.
Attendre : le choix privilégié par la plupart des régions
L’obligation d’ouverture à la concurrence ne sera effective qu’à partir de décembre 2023. Autrement dit, d’ici-là, les régions sont libres de contractualiser directement avec la SNCF et même de signer de nouvelles conventions pouvant étendre le délai de mise en concurrence de 10 ans, soit à 2033. Ce qui explique en grande partie que la plupart des régions ait fait le choix d’attendre. Par ailleurs, les besoins et moyens de chaque région sont différents, d’où des décisions hétérogènes à l’échelle du territoire… et au sein même des régions. On le voit bien, seules quelques lignes font aujourd’hui l’objet d’un dossier.
Outre le calendrier étendu, un autre facteur n’incite pas les régions à s’engager immédiatement : les longues et lourdes procédures d’appels d’offres. Le gouvernement semble avoir entendu cette alerte, ouvrant la voie, sous certaines conditions, à l’attribution directe de contrat à partir de 2023. Ces conditions permettant d’éviter de passer par la procédure d’appel d’offres sont détaillées dans le décret n°2020-728 publié le 17 juin dernier.
Des candidats sur les starting-blocks
Sans surprise, ce sont avant tout les entreprises européennes déjà présentes sur le territoire qui se font connaître, comme Thello ou Transdev. La SNCF se présentera également aux appels d’offres pour diminuer au maximum ses pertes de parts de marché.
La SNCF a l’intention de se présenter à tous les appels d’offres, pour espérer conserver le maximum de part de marché
Jean-Pierre Ferrandou, Président du Directoire de la SNCF
L’arrivée de nouveaux acteurs donne toutefois du relief à la mise en concurrence. A titre d’exemple, l’entreprise Régioneo, issue d’un accord entre la RATP et Getlink (exploitant du tunnel sous la Manche) a été créée en 2020 pour répondre aux appels d’offres des transports ferroviaires régionaux de voyageurs. Elle a déjà entamé ses échanges avec les régions Grand-Est et Hauts-de-France. La coopérative ferroviaire Railcoop souhaite quant à elle relancer la liaison Bordeaux-Lyon à l’été 2022. Son projet a été soumis à l’Autorité de Régulation des Transports (ART, ancienne Arafer) en juin dernier.
Atlante accompagne Railcoop dans le cadre de son partenariat avec AlterActions. Pour son projet d’exploitation de la ligne Bordeaux-Lyon via Limoges, la société coopérative souhaite étudier le développement des services autour de la gare de Gannat afin de contribuer à la dynamisation du territoire et pérenniser ainsi la desserte ferroviaire.
Nous aidons Railcoop à réaliser cette étude des attentes du territoire et des acteurs locaux en matière de service en gare ou à bord et à identifier les partenariats possibles sur ce territoire.
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De nombreuses barrières à l’entrée
Si ce ne sont ni les projets, ni les candidats qui manquent, les barrières à l’entrée du chemin sont nombreuses : Rentabilité des investissements, intégration ou non des coûts de maintenance et d’exploitation ou encore avenir des agents de la SNCF… Autant de questions auxquelles chaque nouvel entrant potentiel est confronté.
Comme pour tout segment d’activité, la question de la rentabilité des investissements est au cœur de l’ouverture à la concurrence des lignes régionales. La fréquentation sera-t-elle la même que celle des lignes exploitées par la SNCF ? Des travaux seront-ils à engager ? Quelle gestion adopter face aux incidents sur le réseau ? Des questions primordiales dans un contexte économique incertain… d’autant plus que certains lots ouverts à la concurrence concernent des lignes aujourd’hui fermées car considérées comme peu rentables par les exploitants (dans l’Est par exemple), voire fortement déficitaires, comme c’est le cas de la ligne TET Nantes-Bordeaux, qui accusait un déficit de 13,7 millions en 2018. FlixMobilités a d’ailleurs annoncé se retirer des appels d’offres TER pour des raisons de coûts d’investissement de départ trop élevés.
Par ailleurs, la maintenance du matériel roulant, pour les dossiers concernés (cf carte), représente un poste de coût important à prendre en considération Dans le cas des lignes Intercités Nantes-Bordeaux et Nantes-Lyon, l’Etat a imposé au futur exploitant le choix de deux options pour en assurer la maintenance : elle sera soit effectuée au technicentre de la SNCF à Nantes, soit dans un nouvel atelier dépendant de l’acteur mais dont la propriété reviendra à l’Etat une fois le contrat de service arrivé à son terme. Dans le premier cas, la maintenance restera dépendante des aléas de la SNCF. Dans le second cas, l’exploitant s’expose à un coût d’investissement d’entrée élevé, pour un nombre de rames concernés peu élevé et avec l’incertitude de remporter les appels d’offres par la suite. Pour cette même ligne l’Etat a récemment annoncé que le nouvel opérateur devrait, en plus de son contrat sur la circulation, « assurer tout ou partie du risque lié à l’exploitation » – des coûts qui pourraient refroidir certains candidats.
Enfin, la dimension sociale jouera également un rôle important dans la réussite d’un nouvel opérateur, en charge de la gestion de son propre personnel. Aujourd’hui, seuls les agents SNCF ont une bonne connaissance des besoins des voyageurs, des problèmes rencontrés, des alternatives pour répondre au plus vite aux besoins techniques ou humains… Seront-ils inclus dans les nouvelles équipes ? Comment ce savoir sera-t-il transmis ? La SNCF acceptera-t-elle qu’une partie de ses équipes soient phagocytées par leur concurrent ? Des précisions seront nécessaires selon certains syndicats, qui ont déjà par plusieurs fois appelé à la grève contre l’ouverture à la concurrence.
A date, l’ouverture à la concurrence des trains régionaux de voyageurs semble donc prometteuse, avec un calendrier bien avancé dans plusieurs régions malgré la crise sanitaire. Les barrières à l’entrée restent néanmoins encore nombreuses et n’encouragent pas toutes les régions et candidats à s’impliquer dans les projets.
L’ouverture à la concurrence des TGV à partir de 2021 suivra-t-elle la même voie ? Réponse d’ici quelques mois ! Toujours est-il que plusieurs acteurs internationaux ont déjà montré leur intérêt (Thello dans le Sud par exemple).
[1] L’appel d’offre concerne la totalité des lignes, c’est-à-dire des infrastructures (rails) au matériel roulant en passant par le personnel. Grand-Est est l’unique région de France à ouvrir la gestion des infrastructures et de la circulation à la concurrence.
[2] Également connus sous l’acronyme TET, Trains d’Equilibre du Territoire