Depuis le 1er février 2020, le Royaume-Uni ne fait officiellement plus partie de l’Union européenne. Le droit de l’Union cessera de s’y appliquer à l’issue d’une période de transition prenant fin le 31 décembre 2020. Pendant ce laps de temps, britanniques et européens négocient pour définir le prochain partenariat qui les liera et notamment les conditions d’accès au marché intérieur de l’énergie. A quoi ressemblera le futur couple énergétique britanno-européen ? Quels sont les dossiers qui animent les négociations en cours ?

Britanniques et européens, désunis mais liés énergétiquement

Si le Brexit sépare juridiquement l’Union européenne et le Royaume-Uni, physiquement et énergétiquement les deux entités restent liées. Le Royaume-Uni est en effet dépendant des approvisionnements énergétiques issus de ses partenaires européens, notamment depuis la France, les Pays-Bas ou encore d’Irlande. Et cette dépendance risque de s’accroître dans les années à venir, la dynamique de la production d’énergies renouvelables ne permettant pas de compenser totalement la baisse rapide de la production du charbon, du pétrole et du gaz (voir encadré). A l’horizon 2025, l’électricité importée pourrait ainsi représenter jusqu’à un quart de l’électricité consommée au Royaume-Uni, rendant les interconnexions électriques avec le continent européen de plus en plus essentielles.

Le Royaume-Uni : un mix énergétique décarbonné… mais fragilisé

Le Royaume-Uni a réussi, en l’espace d’une décennie, à organiser le verdissement en profondeur de son mix énergétique, notamment grâce à des évolutions législatives et la mise en place d’outils incitatifs comme les Certificats d’obligations renouvelables. Les britanniques sont désormais en passe de s’affranchir définitivement du charbon et ont réduit de près d’un quart leur consommation de gaz. Pour la première fois au troisième trimestre 2019, la production d’énergie d’origine renouvelable (champs d’éoliennes, panneaux solaires, centrales hydrauliques et biomasse) a dépassé celle générée par les hydrocarbures (centrales à charbon, au pétrole et au gaz). En ajoutant les capacités de production nucléaire, plus de la moitié de l’électricité produite au Royaume-Uni est aujourd’hui décarbonée. Cette progression des énergies renouvelables a ainsi permis de compenser en partie la baisse de production d’autres sources d’énergies fossiles et, combinée avec une réduction de la consommation d’électricité, a contribué à la réduction des émissions de CO2 du secteur de l’électricité au Royaume-Uni.

Le Brexit en négociation : le point sur les dossiers énergétiques

Du fait de cette situation énergétique, les questions liées aux interconnexions électriques et à l’accès au marché intérieur de l’énergie vont inévitablement faire partie des dossiers clé des négociations en cours. On peut ajouter à ces deux premiers points un 3ème plus spécifique : la coopération autour des projets de développement et de recherche.

La définition des conditions d’accès au marché intérieur de l’énergie

La question de l’accès des Britanniques au marché unique européen est au cœur des négociations en cours. Le cadre du prochain partenariat commercial entre le Royaume-Uni et l’Union structurera en effet durablement les relations énergétiques entre les deux entités. Trois grands modèles de coopération semblent se dégager :

  • En cas d’absence d’accord, c’est le droit commun de l’Organisation Mondiale du Commerce qui s’appliquera dans ces échanges économiques. Dans cette configuration, les britanniques ne pourraient accéder directement au marché intérieur européen de l’énergie, forçant les entreprises britanniques à se domicilier au sein de l’UE pour bénéficier de ses mécanismes de marché.
  • Un modèle d’inspiration « suisse », dans lequel le Royaume-Uni négocierait des traités bilatéraux avec des états membres pour bénéficier d’un accès au marché intérieur européen. Le Royaume pourrait également choisir de rejoindre l’Association européenne de libre-échange, aujourd’hui composée de quatre États membres : la Norvège, la Suisse, l’Islande et le Lichtenstein.
  • Enfin, un modèle à la « norvégienne », dans lequel le Royaume-Uni adhérerait à l’Espace économique européen, lui assurant un accès complet au marché unique. Cette configuration impliquerait cependant que les britanniques adoptent, en contrepartie, une partie de la législation européenne, notamment en matière de protection du consommateur, d’environnement ou de droit des affaires. En revanche, si le Royaume-Uni décidait de quitter l’Espace Économique Européen, il perdrait notamment le soutien aux projets d’intérêt commun (PIC)[1], au premier rang desquels les projets d’interconnexion.

L’avenir des interconnexions avec le Royaume-Uni suspendu aux négociations

Les interconnexions sont un symbole fort de la solidarité européenne et de l’équilibre du marché intérieur. Ces lignes transfrontalières permettent en effet aux États de s’entraider immédiatement en cas de pénurie imprévue dans un pays. Aujourd’hui, le Royaume-Uni importe près de 20 TWh par an, soit plus de 5% de sa consommation d’électricité, principalement de France et des Pays-Bas. Sur le marché du gaz, le Royaume-Uni voit sa production chuter depuis plus de 15 ans et le conduit à recourir aux importations, en grande partie issues de pays extérieurs à l’Union (Norvège et transport GNL, notamment du Qatar). Malgré la tendance baissière de la consommation gazière, cette dépendance du Royaume-Uni devrait s’accentuer au cours des prochaines années, le Gouvernement britannique ayant par ailleurs suspendu fin 2019 les projets de fracturation hydraulique de gaz de schiste.

Plusieurs projets d’interconnexions électriques sont en cours de construction – à l’image de l’interconnexion IFA 2 qui devrait rentrer en service fin 2020 – ou ont déjà été approuvés par la Commission européenne. Des projets de plus en plus ambitieux, en témoignent les interconnexions reliant le Royaume Uni à la Norvège (North Sea Link) et au Danemark (Viking Link), qui atteignent des longueurs records de respectivement 730 km et 740 km. En l’espace d’une décennie, la capacité des lignes électriques qui relient la Grande Bretagne à ses voisins aura ainsi triplé.

Les nouveaux projets d’interconnexion qui avaient émergé ces dernières années, et qui sont aujourd’hui en attente d’une autorisation des pouvoirs publics européens, pourraient cependant se voir gelés avec le Brexit. Côté français, la Commission de Régulation de l’Energie a notamment exprimé en juillet 2019 des réserves sur tout accroissement de la capacité d’interconnexion électrique entre la France et la Grande-Bretagne au-delà des projets déjà en construction. Elle souligne l’incertitude que fait planer le Brexit sur l’évolution des marchés de l’énergie et en particulier sur les règles d’accès et d’utilisation des interconnexions entre le continent et le Royaume-Uni. Sans visibilité sur le cadre réglementaire et économique à venir, la CRE indique que les bénéfices pour la collectivité induits par ces nouveaux projets d’interconnexion ne sont aujourd’hui pas garantis.

De plus, en absence d’accès au marché intérieur de l’électricité, les Britanniques ne bénéficieraient plus des facilités d’échanges sur les marchés de court et long-terme rendues possibles grâce à la réglementation européenne de couplage des marchés. Les gestionnaires de réseaux de transport français (RTE) et britannique (National Grid), qui gèrent conjointement l’Interconnexion France-Angleterre, avaient d’ailleurs anticipé l’hypothèse d’un Brexit sans accord à fin mars 2019 et prévu de nouvelles règles d’accès à l’Interconnexion IFA 2000[2].

La suspension des projets d’interconnexion combinée à une moindre interopérabilité des réseaux exposerait ainsi davantage le Royaume-Uni aux pics de consommation ou aux aléas (évènements climatiques extrêmes, incident de production…), et des pannes d’électricité massives, à l’image de celle survenue en août 2019 (la plus importante depuis plus de dix an) pourraient se multiplier. Cette configuration pourrait conduire, à terme, à un coût d’approvisionnement plus élevé, au détriment du consommateur Britannique.

La coopération autour des projets de développement et de recherche dans l’énergie

Le Brexit bouleverse également les programmes de recherches conduits au niveau européen et auxquels le Royaume Uni ne pourra plus participer faute d’accords spécifiques. En janvier 2019, la crainte d’un Brexit « dur » avait déjà conduit des présidents d’Universités britanniques à alerter l’opinion[3] sur son impact sur les projets de recherches essentiels et notamment sur le développement de technologies permettant de lutter contre le changement climatique.

En sortant des traités européens, le Royaume-Uni sort notamment du traité Euratom, qui encadre le développement de l’énergie nucléaire en Europe depuis plus de 60 ans. Le Royaume-Uni devra donc redéfinir ses relations avec les partenaires étatiques et internationaux (notamment l’AIEA) en matière de sécurité des installations et de circulation des combustibles, des capitaux et des compétences liées au nucléaire. La contribution britannique à des projets de recherche autour de la fusion nucléaire, comme les projets JET et surtout ITER (construction du réacteur expérimental à Cadaraches), dans lesquels les Britanniques sont aujourd’hui très investis, est également en cours de discussion.

Un Brexit qui fragilise la coopération climatique européenne

Si la politique climatique ne va pas figurer en tant que telle comme point majeur de discussion entre l’Union et le Royaume Uni dans les négociations en cours, elle pourrait tout de même potentiellement être impactée par le Brexit.

Les Britanniques ont en effet contribué activement à l’élaboration des politiques climat-énergie, dont le Brexit est susceptible d’affaiblir la mise en œuvre. Les États membres partisans d’une politique ambitieuse (France, Allemagne, Suède…) perdent ainsi les voix britanniques et craignent de voir le centre de gravité glisser vers l’Est, au profit d’États moins engagés sur les enjeux environnementaux, à l’image de la Pologne ou de la Hongrie.

La Commission européenne a cependant souhaité confirmer les orientations et les objectifs climatiques européens, notamment dans le cadre du Green Deal lancé fin 2019. L’exécutif européen souhaite d’ailleurs profiter de l’intérêt croissant des citoyens pour les enjeux énergétiques et des fonds débloqués pour que la relance post-coronavirus s’inscrive pleinement dans la stratégie énergétique et climatique européenne[4], et ce malgré le départ des Britanniques.

Le positionnement du Royaume-Uni lors des prochaines négociations internationales sur le climat constitue une autre inconnue politique pour les européens. En effet, la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) a vu émerger des coalitions d’États présentant des variations dans leurs engagements climatiques. Il est aujourd’hui difficile d’affirmer avec certitude la position qui sera retenue par le gouvernement britannique dans le concert climatique : s’alignera-t-il sur les orientations européennes, comme le fait habituellement la Norvège, penchera-t-il vers la position américaine (groupe de l’Ombrelle) ou encore vers les partisans de « l’intégrité environnementale » (groupe composé de la Suisse, du Mexique et de la Corée du Sud notamment) ? Avec le Brexit, les divergences diplomatiques entre européens et britanniques risquent d’apparaitre au grand jour, une hypothèse qui fragiliserait la solidarité et la crédibilité européenne sur la scène internationale.

C’est donc un léger brouillard proprement « british » qui s’est installé au-dessus de la Manche. Les incertitudes quant aux futures relations énergétiques entre le continent et le Royaume-Unis devraient être levées par les négociations en cours post-Brexit. Certes, le visage de l’Union de l’Energie ne sera pas le même sans le Royaume-Uni. Mais la période de transition actuelle offre une occasion unique, pour les Britanniques comme pour les Européens, de réaffirmer leurs ambitions énergétiques et climatiques dans le cadre de leur nouveau partenariat.

 


[1] Les projets d’intérêt commun (PIC) sont des projets d’infrastructure essentiels visant à achever le marché européen de l’énergie afin d’aider l’UE à atteindre ses objectifs en matière de politique énergétique et de climat : une énergie abordable, sûre et durable pour tous les citoyens, ainsi que la décarbonation à long terme de l’économie conformément à l’accord de Paris.

[2] Cette évolution prévoyait notamment le remplacement de l’allocation journalière implicite par une allocation sous la forme d’enchères explicites, du fait de la sortie du Royaume-Uni du couplage unique de marché journalier.

[3] Source : https://russellgroup.ac.uk/news/warning-against-no-deal-brexit/

[4] Pour aller plus loin : https://atlante.fr/blog/le-covid-aura-t-il-la-peau-du-green-deal