Après un premier encouragement timide en 2018 avec le plan Hulot et ses 100 millions d’euros, le gouvernement français a décidé d’accélérer son soutien à la filière d’hydrogène à l’occasion du Plan de Relance en investissant 2 milliards sur les années 2021 et 2022. En effet, l’Etat souhaite « faire de la France de demain le champion de l’hydrogène décarboné »[1]. Il compte notamment sur le développement de la mobilité hydrogène.

L’hydrogène : une place à gagner sur le terrain de la transition énergétique

Un panorama complet des usages – et des modes de production – de l’hydrogène

Bien que l’hydrogène corresponde aux critères d’un carburant « propre » -un véhicule à pile à combustible (FCEV[2]) transforme du dihydrogène et du dioxygène en électricité et vapeur d’eau, le secteur de la mobilité, très concurrentiel, est difficile à intégrer. Sur quel(s) usage(s) de la mobilité l’hydrogène est-il vraiment compétitif ? La mobilité hydrogène permettra-t-elle à la filière de se lancer pour de bon ?

Pétrole et mobilités, la fin du voyage ?

Notre panorama sur les différentes alternatives décarbonéées dans la mobilité

La mobilité individuelle : un combat déjà perdu ?

Quand on parle mobilité, on pense d’abord au marché de la voiture légère. Sur ce segment historiquement dominé par les véhicules thermiques, les voitures électrisées sont en train de transformer radicalement le paysage. En septembre 2020, un cap symbolique est franchi en Europe avec des immatriculations de véhicules électriques et hybrides qui dépassent pour la première fois celle des véhicules diesels… La voiture à hydrogène, qui se présente aussi comme une alternative « propre » aux véhicules thermiques, espère suivre la cadence du véhicule électrique, voire même le rattraper sous peine d’être irrémédiablement distancée par le nouveau champion de la transition énergétique.

Néanmoins, la route est encore longue et la situation peu favorable à l’essor de la technologie hydrogène sur la mobilité légère, comme on peut le remarquer en analysant 3 critères déterminants pour le secteur : la rentabilité énergétique, l’autonomie et l’infrastructure.

A l’instar d’une voiture électrique à batterie, le véhicule à hydrogène s’appuie sur un moteur électrique de rendement énergétique de 90%, mais la spécificité de la voiture hydrogène réside au niveau du stockage de l’énergie. Alors que la voiture électrique puise directement son énergie en sortie de batterie, la FCEV doit transformer le dihydrogène en électricité à l’aide d’une pile à combustible (PAC) de rendement avoisinant les 60%. De plus, pour être cohérent avec le contexte de verdissement de l’économie qui a nourri les ambitions de la FCEV, il est attendu que l’hydrogène exploité soit issu de l’électrolyse de l’eau (70%), réaction elle-même alimentée par de l’électricité verte (par exemple le surplus de production des énergies renouvelables), et non, par vapo-reformage d’hydrocarbures fossiles qui a actuellement un meilleur rendement et un moindre coût. En intégrant la compression du gaz (85%) au cycle global du véhicule hydrogène, nous aboutissons à un rendement global du « puit à la roue » de 30%. Ainsi, pour 100 kWh récupérés à partir d’énergie renouvelable, seuls 30 kWh permettront de faire avancer le véhicule… Ce chiffre souffre de la comparaison avec les rendements des véhicules électriques qui s’étalonnent entre 70% et 80% en tenant compte des pertes dans les processus. Même si des améliorations technologiques sont à l’étude pour le véhicule hydrogène, le gap technologique semble déjà insurmontable.

En ce qui concerne l’autonomie de chacun des deux types de véhicules, l’hydrogène, avec sa forte densité, attirait initialement les spécialistes du secteur grâce à une autonomie nettement supérieure à celle des véhicules à batterie. Cet avantage comparatif est en train de disparaître avec les efforts réalisés dans ce domaine qui ont permis d’accroître nettement, pour la filière électrique, la capacité des batteries Li-ion. Certains modèles électriques présentent désormais des autonomies de 500 km réduisant drastiquement l’avantage de l’hydrogène.

Enfin, dernier point de comparaison : l’infrastructure de recharge, élément essentiel au déploiement d’une filière pour la mobilité légère. Les difficultés rencontrées par la filière électrique pour déployer, à l’échelle nationale, des stations de recharge ne sauraient rassurer les investisseurs… Sachant que l’infrastructure de recharge électrique est encore loin d’être achevée, il semble illusoire de croire que la France sera capable de se doter en parallèle d’une nouvelle infrastructure dédiée à l’hydrogène.

Longtemps principal frein à l’utilisation de l’hydrogène dans la mobilité, le danger lié au caractère fortement inflammable de la molécule d’hydrogène (risque d’explosion) est désormais considéré comme maîtrisé par les industriels. Ceci s’explique par les nombreuses innovations qui ont été réalisées dans le domaine telles qu’un thermofusible qui permet de protéger le réservoir en cas d’élévation de température. Le cas échéant, une purge du réservoir est réalisée, vidant rapidement le réservoir et évitant l’explosion.

La mobilité lourde et l’hydrogène : le couple parfait ?

Conscient de la difficulté de voir coexister deux filières nouvelles sur la mobilité légère, le gouvernement a décidé d’orienter ses investissements sur une mobilité plus adaptée aux atouts de la filière hydrogène. En effet, l’une des trois priorités du plan de relance du gouvernement est le développement d’une mobilité lourde à l’hydrogène décarboné[3].

L’autonomie longue des véhicules à hydrogène et la densité énergétique importante du gaz permettent d’exploiter des machines de forte puissance nécessaires à la mobilité lourde. Par ailleurs, les flottes de véhicules lourds, généralement utilisées pour le transport de marchandises ou de personnes, empruntent des circuits préférentiels de manière régulière. Ainsi, le besoin en infrastructure et les risques liés à des bornes de recharge insuffisamment utilisées sont restreints.

Après le lancement de premières flottes locales de bus à hydrogène, par exemple en Ile-de-France, les constructeurs de poids lourds se sont lancés à leur tour dans la production de camions à hydrogène. En 2020, Hyundai a été le premier constructeur à lancer une production de camions à hydrogène en s’appuyant sur son expertise en pile à combustible développée sur les véhicules individuels. Fort d’une autonomie de 400 km, les 10 premiers camions de la marque coréenne parcourent la Suisse et se ravitaillent en 8 à 20 min, durée de recharge cohérente avec les besoins du transport logistique. Hino-Toyota s’est également appuyé sur ses compétences en PAC pour son projet de camion à hydrogène prévu en 2021.

Côté stratégie de déploiement, Hyundai a fait le choix de fournir un service hydrogène intégré, de la production d’hydrogène à la maintenance du poids-lourd. La compagnie coréenne espère ainsi être indépendante des politiques publiques de déploiement de bornes et encourager le développement de la mobilité hydrogène, à l’instar de la stratégie de Tesla pour lancer ses voitures électriques.

Un autre secteur prometteur pour l’hydrogène est le ferroviaire. En Europe, une part non négligeable du réseau ferré est constituée de lignes non électrifiées nécessitant l’exploitation de locomotives diesel. Alors qu’en Allemagne, ce réseau représente 40% des voies ferrées, en France, la part du réseau non électrifié monte à 50%, pour seulement 20% du trafic. Du fait de l’électrification coûteuse, les trains à hydrogène ont commencé à s’implanter sur ce marché en Allemagne : dès 2018, Alstom a lancé la première locomotive hydrogène, Coradia iLint, capable de parcourir 800 km sans recharge. Le succès de cette mise en service a encouragé certains Länder allemands à commander de nouvelles rames à hydrogène : la société française doit honorer 41 commandes d’ici à 2022. En Autriche et aux Pays-Bas, Alstom finalise les tests de fonctionnement de son train sur l’année 2020. Du côté français, le vieillissement du parc de TER diesel appelle un renouvellement d’au moins 450 locomotives d’ici 2030. Dans le cadre de la décarbonation des activités de l’entreprise, la SNCF prévoit de démarrer l’exploitation de TER hydrogène dès 2025.

Autre piste de développement de l’hydrogène dans la mobilité lourde : l’aérien. En vue de limiter les activités fortement émettrices de CO2, le transport aérien aura en effet besoin de se réinventer pour continuer à exister. Dans ce contexte, Airbus a présenté son ambitieux projet de construction d’un avion fonctionnant à 100% à l’hydrogène en 2035. Bien que le projet en soit encore à ses balbutiements, EasyJet, conscient de la nécessité de verdir ses activités, s’est montré favorable à l’utilisation de tels avions dès leur mise en service. Néanmoins, du fait du besoin d’interopérabilité des avions, une infrastructure mondiale devra être développée pour assurer la réussite du carburant hydrogène. L’imputation de ces coûts majeurs pourrait représenter un frein considérable au déploiement de la filière dans l’aéronautique.

Enfin, le transport maritime, également pointé du doigt pour ses émissions de CO2, pourrait se tourner vers la technologie hydrogène pour réduire son impact environnemental. Si des bateaux de plaisance commencent à sortir des hangars (premier yacht à hydrogène à Monaco), cet usage, comparable à de la mobilité individuelle, n’est pas le plus prometteur, car susceptible d’être devancé par la batterie électrique. La filière hydrogène a plutôt intérêt à se tourner vers l’immense marché des porte-conteneurs, où l’électrique ne serait pas un concurrent au vu des distances parcourues. Bien que la faisabilité industrielle de l’utilisation de l’hydrogène pour des applications maritimes soit encore à prouver, ABB a annoncé vouloir développer des piles à combustible adaptées à cet usage. Des partenariats commencent à se lancer comme, par exemple, entre Ariane et Engie qui réfléchissent à la pérennisation de l’hydrogène liquide comme combustible pour les bateaux.

Dans le contexte de réchauffement climatique, l’hydrogène semble donc être un allié parfait pour limiter les émissions de C02. Cependant, la filière souffre d’un retard important, notamment par rapport aux véhicules électriques individuels. A voir si l’effort important du Plan de Relance en la matière lui permettra de la rattraper.

Sur le créneau de la mobilité lourde, l’hydrogène rentre cependant en concurrence avec un autre carburant de la transition énergétique : le bioGNV. Ce Gaz Naturel pour Véhicules est produit par méthanisation de végétaux et ses émissions de CO2 sont compensées par la quantité de CO2 absorbée lors de la création du gaz. Responsable d’une faible quantité de polluant par rapport aux autres hydrocarbures fossiles, il sera une alternative à surveiller vis-à-vis des ambitions de croissance de la filière hydrogène pour la mobilité. En effet, ces véhicules disposent d’une autonomie comparable à celle du véhicule à hydrogène et la technologie est relativement mature comme le témoigne les 22 000 véhicules fonctionnant déjà au GNV en France. Néanmoins, de manière similaire à l’hydrogène, le gaz vert a encore besoin de politique de soutien pour lancer totalement la filière.


[1] Bruno Le Maire, septembre 2020

[2] FCEV : Fuel Cell Eletric Vehicle

[3] ADEME, Guide d’information sur la sécurité des véhicules à hydrogène, juin 2015

[4] Stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné en France, octobre 2020