Le pétrole est un concentré exceptionnel. Sa forte densité énergétique, sa facilité de stockage et de transport ainsi que son abondance en ont fait le pilier de la croissance économique et de nos mobilités depuis 180 ans, s’adaptant à tous nos besoins de mobilités.
Mais face aux enjeux climatiques, il est desormais devenu l’ennemi public numéro 1. Chaque nouveau texte, plan ou initiative politique érige en priorité la transition vers des mobilités plus propres, décarbonées : Loi Climat, Loi d’Orientation des Mobilités, Programmation Pluriannuelle de l’Energie, Convention Citoyenne pour le Climat, Plan de Relance…
En France, le transport est le 1er secteur émetteur avec 31 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) : et pour cause, il demeure dépendant à 90 % du pétrole. Inventer une mobilité sans GES en France, c’est trouver une autre énergie que le pétrole. Ou plutôt un bouquet d’énergies selon les usages. Mais quelles alternatives existe-t-il ? Faut-il décaborner les moyens de transports actuels ou les substituer ?
Un panel d’alternatives pour des mobilités aux enjeux et bilans carbone hétérogènes
Selon le dernier rapport Citepa[1] dédié au secteur des transports de personnes et de marchandises, le transport routier représente près de 79,7 % des émissions de CO2[2] devant le transport aérien (15,1 %) puis le transport maritime (4,9%)[3], les émissions liées au transport ferroviaire étant presque négligeables (0,3 %). Derrière ces chiffres se cachent des réalités et des enjeux très divers :
Tout d’abord, s’affranchir du pétrole dans le transport ferroviaire ne nécessite pas de révolution technique en l’état : l’électrification des voies et l’utilisation d’une électricité largement décarbonée en France est une alternative propre, majoritairement adoptée dans le rail français. Néanmoins le coût de tels chantiers pour remplacer les dernières rames diesel rend nécessaire la réflexion à d’autres alternatives plus économiques.
Ensuite, le transport maritime et le transport aérien ne disposent pas à l’heure actuelle d’alternative écologique au fioul lourd et au kérosène. L’innovation de rupture (notamment dans l’aéronautique où les contraintes techniques sont beaucoup plus importantes) et les solutions de transition sont actuellement les deux pistes étudiées. Mais pour ces deux secteurs, les trajets couvrent principalement des zones sans juridiction (comme les eaux internationales) ce qui veut dire que les évolutions viendront pour beaucoup des règlementations internationales, voir des aspirations des usagers, avant d’être des choix unilatéraux faits par les pays.
Enfin, pour le transport routier, plusieurs facettes sont à prendre en compte, selon que l’on considère le transport de marchandises ou de passagers, l’utilisation de véhicules légers ou de poids-lourds, le transport privé ou public… En réalité, l’alternative au pétrole ne viendra pas d’une solution universelle, mais d’un choix parmi plusieurs solutions disponibles afin de répondre au mieux aux usages. Si l’électrique fait beaucoup parler pour les voitures, les autres solutions comme le GNV ou l’hydrogène n’ont pas dit leur dernier mot, notamment pour les véhicules lourds où la décarbonation est rendue plus difficile.
Même à moyen-terme, il est impossible d’envisager une alternative universelle pouvant se substituer parfaitement au pétrole : son rendement, son abondance, son coût et sa polyvalence lui donnent un avantage inégalable si l’on exclut l’impact environnemental. Dès lors il faut rechercher dans un panel d’alternatives, dont 4 se détachent aujourd’hui : les batteries électriques, les biocarburants, l’hydrogène et le gaz naturel.
La batterie électrique s’impose progressivement dans l’automobile (8,4 % des immatriculations au cours de l’été 2020) grâce à une technologie éprouvée, de plus en plus bon marché (appuyée par les aides d’Etat), utilisant une électricité bas carbone facilement accessible (recharge à domicile, au bureau, en point de recharge public). Bien qu’il subsiste encore des difficultés liées à l’autonomie, au temps de recharge et à la disponibilité des points de charge, la voiture électrique s’impose de plus en plus comme le candidat favori pour remplacer nos voitures actuelles. En revanche, pour les transports en commun ou de marchandises, plus exigeants sur le rapport poids/puissance, sur les distances à parcourir et le temps de recharge, la batterie ne semble pas en l’état le meilleur candidat. Et pour l’aviation, l’idée d’un appareil 100% électrique reste pour le moment une utopie, bien que beaucoup d’efforts de recherche soient engagés.
L’hydrogène et le gaz naturel sont, eux, deux alternatives pertinentes pour les transports en communs ou de marchandises. En effet leur densité énergétique, leur autonomie et leur temps de recharge leur donnent un avantage comparatif.
En revanche plusieurs barrières techniques restent encore à lever :
Tout d’abord ils nécessitent l’installation d’un réseau d’infrastructures à la maille de la France : infrastructures de production, parfois de transport, stations de distribution… cela nécessite un vrai choix d’investissement (entamé avec le Plan de relance présenté en août 2020) et du temps pour déployer toutes ces infrastructures.
Ensuite, ces deux énergies ne sont pas neutres en carbone pour le moment (le gaz naturel ne réduit les émissions de CO2 que de 25 % bien qu’il ait un impact bien plus significatif sur d’autres GES) : la production d’hydrogène vert compétitif est l’une des priorités de la Stratégie Hydrogène via le développement d’une filière d’électrolyse française. C’est un choix ambitieux, qui doit aussi répondre à l’enjeu croissant de sécurité et d’indépendance en approvisionnement énergétique. De son côté le développement du biométhane, qui prend de plus en plus d’ampleur, doit permettre l’utilisation progressive de bioGNV.
Enfin vient le risque de concurrence entre ces deux alternatives, avec de nombreuses caractéristiques et contraintes similaires. L’Etat, qui subventionne ces alternatives, va peut-être devoir être amené à faire des choix lorsque leur maturité sera suffisante, au risque, sinon, de développer deux solutions concurrentes et d’en payer le prix fort.
Enfin les biocarburants avancés, dits de « 2ème génération », sont issus de la part non-alimentaire de plantes (afin de limiter les problématiques d’usage des sols et de concurrence avec les débouchés alimentaires), de la biomasse ou de la valorisation de déchets. En cours de développement et d’industrialisation, ils devront permettre de produire une alternative renouvelable, peu coûteuse et avec des performances relativement similaires aux carburants pétroliers actuels. Le grand avantage de cette solution est de ne pas nécessiter d’importantes modifications des véhicules et des infrastructures, avec un remplacement du pétrole par les biocarburants qui serait quasiment « transparente » pour les utilisateurs. Reste qu’ils sont majoritairement prévus pour être mélangés avec du carburant conventionnel pour des raisons d’efficacité, et qu’ils ne feraient donc que limiter et non éteindre les problèmes associés au pétrole. On peut donc plutôt voir les biocarburants comme une alternative transitoire, notamment en attendant que les filières hydrogènes, bioGNV deviennent matures.
Si plusieurs alternatives sont donc déjà identifiées selon le type de transport, un cap de maturité reste encore à franchir et pour certaines utilisations, comme l’aéronautique, les défis semblent encore de taille et les échéances très incertaines. A l’heure de l’urgence climatique, quelles possibilités reste-t-il en attendant la mise en place de ces alternatives ?
Le report modal vers des mobilités déjà décarbonées, un remède immédiat
Si le pétrole ne peut pour le moment être totalement substitué, alors peut-être faut-il chercher directement des alternatives déjà existantes. Cela aurait pour avantage d’être quasiment immédiatement disponible et avec un impact carbone direct. Si tout ne peut pas simplement être remplacé, comme les vols internationaux, beaucoup de trajets peuvent en revanche faire l’objet d’alternatives crédibles.
Le train illustre bien cette idée et pourrait être le grand gagnant d’une telle stratégie. En France, il a pour lui l’avantage d’être bas carbone, de transporter passagers et marchandises sur de longues distances pour des durées et des coûts très compétitifs.
Alors que l’avion décarboné est espéré pour 2035, certains de ces trajets pourraient se voir remplacer par le train. Les lignes intérieures peuvent laisser place au TGV sans que le voyageur soit fortement impacté au niveau du prix et du temps de trajet. C’est ce qu’a défendu la Convention Citoyenne pour le Climat et, sauf coup de théâtre, cela sera écouté avec la suppression attendue des lignes aériennes internes pour lesquelles il existe une alternative ferroviaire de moins de 2h30.
De même, alors que les alternatives pour les poids-lourds sont plus difficiles à mettre en place, le train peut faire partie de la solution. Sachant que le transport de marchandise est réalisé à 89,1 % via la route, il s’agit d’un levier d’action majeur. Néanmoins cela nécessite un investissement pour moderniser l’outil ferroviaire et offrir une alternative au transport routier qui soit attractive et efficace. Le gouvernement semble vouloir faire les efforts pour remettre en selle cette alternative avec l’aide à la rénovation du matériel roulant, la baisse des péages pour les deux prochaines années, la relance du transport par wagon isolé, et plus symboliquement la réouverture de la ligne de fret Perpignan-Rungis.
Dans les zones urbaines le retour aux mobilités douces (marche, vélo) et le développement des mobilités électriques (vélo, trottinettes) sont une alternative crédible à l’autosolisme qui permettent d’éviter un engorgement des transports en commun. En cela on constate que la crise sanitaire a joué un rôle d’accélérateur tant pour les voyageurs (+30 % depuis le déconfinement par rapport à la même période l’an dernier) que pour les pouvoirs publics (pérennisation des pistes cyclables coronavirus dans de nombreuses grandes villes, renforcement des aides pour l’achat d’un vélo électrique).
Pour le monde rural et semi-rural, la question du report modal et d’alternatives au pétrole est confronté à plus d’obstacles. Par définition les distances à parcourir sont plus importantes et la densité de réseau est plus faible. Cette double contrainte technique et économique pourrait ainsi ralentir la transition vers des mobilités sans pétrole dans des zones très dépendantes de la voiture et donc du pétrole. L’étalement urbain, facilité par une énergie fossile abondante et peu chère, pourrait devenir un piège si aucune politique volontariste en faveur des mobilités bas carbone n’est mise en place.
***
Grâce au progrès technique et au report modal, il est certain qu’à terme des alternatives écologiques permettront de limiter voire de se passer du pétrole de nos mobilités. A ce stade, chaque solution identifiée présente des avantages et des inconvénients, sans qu’aucune ne semble réellement prendre l’avantage sur l’autre.
Pour le moment, le gouvernement a donc fait le choix d’encourager le développement de toutes ces alternatives, quitte parfois à les mettre en concurrence. Cela vise à ne pas s’enfermer dans une solution unique, alors que les incertitudes technologiques et économiques sont encore nombreuses. Mais il sera nécessaire à un moment d’arbitrer entre ces dernières, afin de construire des réseaux cohérents, non-redondants, dans un souci d’optimum économique pour la collectivité.
Ainsi, si le temps de l’énergie pas cher et abondante est sans doute révolu, la vision et la volonté politique sont des clefs essentielles pour engager une démocratisation rapide des mobilités sans pétrole et accompagner l’adaptation de nos usages et de nos économies.
[1] Citepa, avril 2020 – Format SECTEN (secteur des transports)
[2] Les émissions de l’ensemble des gaz à effets de serre autres que le CO2 sont convertis en équivalent CO2 afin de garantir une analyse globale des émissions de GES.
[3] Incluant la part d’émissions du transport maritime et aérien international pouvant être imputé à la France