En mai dernier, Jean-Bernard Lévy était reconduit pour un 2ème mandat à la tête d’EDF. Cette reconduction, la première depuis la présidence historique de Marcel Boiteux qui avait conduit le développement du parc nucléaire français, signait l’ampleur des défis à relever pour l’énergéticien.

Les défis s’accumulent en effet pour EDF, liés aux grands travaux dans la filière nucléaire : construction des EPR (Flamanville 3, Hinkley Point…), fermeture de la centrale de Fessenheim et chantier de démantèlement à suivre, programme Grand Carénage de prolongation de la durée de vie des réacteurs… Ces projets mettent à rude épreuve les capacités d’ingénierie de l’énergéticien, marquée par les dérapages de Flamanville 3 (11 ans de retard, 375% de dépassement du budget initial – 12,4 Md€ contre 3,3 Md€) [1] et motivant la mise en œuvre du plan Excell pour retrouver l’excellence industrielle mise en doute par les parties prenantes, clients et autorités publiques [2] .

Ces grands travaux, fortement capitalistiques, mettent aussi et surtout sous tension le profil financier du Groupe. L’irruption du COVID, en désorganisant les opérations de maintenance du parc, a par ailleurs fortement réduit la prévision de productible nucléaire (-15% en 2020), impactant négativement les flux de trésorerie disponibles et creusant fortement son endettement.

Dans ce contexte, l’évolution de la régulation du nucléaire constitue la pierre angulaire pour le devenir du Groupe EDF, centrale pour son équilibre économique et structurante pour son organisation cible. Avec la fin du dispositif actuel de l’ARENH en 2025, quel nouveau modèle se dessine et quels en sont les enjeux pour EDF ?

L’ARENH, des principes aux limites

En application des directives européennes et suite aux travaux de la Commission Champsaur, la loi relative à la nouvelle organisation du marché de l’électricité (loi NOME) est entrée en vigueur fin 2010 dans l’objectif d’accroitre l’ouverture à la concurrence du marché français de l’électricité sur les activités de production et commercialisation.

La loi NOME : retour sur deux ans de débat

Réformer le marché de l’électricité : étapes et enjeux

Pour ce faire, elle a prévu un dispositif d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) visant à :

  • Maintenir la protection des consommateurs français en continuant à leur garantir le bénéfice de la compétitivité́ du parc nucléaire historique ;
  • Permettre le développement de la concurrence, notamment en assurant aux fournisseurs alternatifs un droit d’accès à l’électricité produite par le parc nucléaire historique, aux mêmes conditions économiques qu’EDF ;
  • Assurer le financement du parc de production existant.

Si la CRE et l’Autorité de la concurrence ont souligné l’impact positif de l’ARENH dans le développement de la concurrence sur le marché de l’électricité (plus de 30 fournisseurs alternatifs aujourd’hui), conformément aux objectifs initiaux, le dispositif fait aujourd’hui l’objet de plusieurs points de contestation.

Du côté des fournisseurs alternatifs, la fixation du plafond en volume de l’ARENH à 100 TWh est critiquée alors que les besoins pour l’année 2019 et 2020 étaient respectivement de 133 TWh et 147 TWh.  En juillet 2020, la CRE a ainsi considéré que le rehaussement du plafond à 150 TWh pour le guichet de l’année 2020 était souhaitable afin «[d] éviter de faire supporter aux consommateurs le surcoût lié à l’atteinte du plafond ».

De l’autre côté, EDF estime que le plafond ne peut être revu de manière isolée sans repenser le cadre de la régulation. Premièrement, avec une rémunération figée à 42€/MWh depuis 2011, l’opérateur historique considère que l’objectif initial de financement du parc de production existant n’est pas atteint : à plusieurs reprises, Jean-Bernard Lévy a demandé aux instances gouvernementales la révision du dispositif afin de permettre sa réévaluation. Deuxièmement, EDF reproche le caractère asymétrique du dispositif actuel, créant un « effet d’aubaine » avec un recours au dispositif pour se protéger des hausses du prix de marché et à l’inverse, un délaissement lors des baisses. Sur toute l’année 2016 par exemple, dans un contexte de prix bas de l’électricité, aucune demande d’ARENH n’a été déposée par les fournisseurs alternatifs.

La crise sanitaire du COVID a relancé le débat et exacerbé les divergences, les fournisseurs alternatifs évoquant la clause de force majeure pour annuler les engagements pris et EDF portant l’affaire en justice et dénonçant un « mécanisme très inéquitable » tel que « les concurrents d’EDF sont toujours gagnants. Au détriment d’EDF. »

Vers un nouveau mécanisme pour la régulation du nucléaire

Dans ce contexte, la consultation publique ouverte par la CRE en début d’année 2020 sur la nouvelle régulation du nucléaire a lancé les travaux de remplacement de l’ARENH en prévision de la fin du dispositif en 2025. Pour résoudre les déséquilibres en place, un nouveau mécanisme est envisagé, prévoyant la vente de la production nucléaire dans un « corridor » de prix matérialisé par un plafond et un plancher.

Ce nouveau mécanisme fonctionnerait sur les principes suivants :

  • Obligation pour EDF de vendre ex-ante sur le marché de gros le productible nucléaire du parc existant (parc historique et Flamanville 3) ;
  • Obligation pour EDF de rétrocéder ex-post les revenus de la vente si la valorisation annuelle moyenne dépasse le plafond ;
  • Mise en place d’un mécanisme de couverture du producteur EDF dans le cas où la valorisation annuelle moyenne est inférieure au plancher.

Ce mécanisme présenterait ainsi des principes en rupture avec le fonctionnement actuel de l’ARENH :

  • Le passage d’un mécanisme de marché à la vente directement sur le marché, sans limite de volume, qui impliquerait des transferts financiers a posteriori entre le producteur et le fournisseur ;
  • L’engagement d’EDF de mettre à disposition l’ensemble du productible nucléaire existant (volume contrôlé par la CRE), qui nécessiterait pour le Groupe de s’engager à l’avance sur la disponibilité du parc et l’exposerait le cas échéant à compenser un écart de volume en s’approvisionnant sur le marché au prix spot ;
  • Le positionnement du commercialisateur EDF au même niveau de droits, d’obligations et d’information que les fournisseurs alternatifs au regard de la régulation, qui obligerait à un cloisonnement avec les activités de production nucléaire du Groupe.
ARENH 2025 - 2

Retour à la case départ ou reculer pour mieux sauter ?

Une réforme de l’ARENH doit avant tout être approuvée par la Commission Européenne, pour s’assurer que la France respecte bien le droit des institutions communautaires en matière de concurrence. Mises en pause pendant la pandémie, les discussions ont repris depuis juillet et pourraient s’accélérer : une échéance rapide avant la fin d’année 2020 est évoquée pour aboutir à un accord entre Bruxelles et l’État sur la refonte de la régulation du nucléaire historique et plus globalement sur l’avenir du Groupe EDF.

Jean-Bernard Lévy souhaitait initialement que le futur cadre réglementaire soit défini au premier semestre ou à l’été 2020, conditionnant sa réforme à la réorganisation du Groupe poussée par les pouvoirs publics pour faire face aux lourds investissements à venir. Repoussée l’an dernier car en plein débat houleux sur la réforme des retraites, cette réorganisation transparaitrait clairement dans le cas d’une mise en place du mécanisme envisagé par la CRE, nécessitant que le commercialisateur EDF soit placé sur un « strict pied d’égalité au plan concurrentiel » avec les fournisseurs alternatifs vis-à-vis du producteur nucléaire. 

Cependant la complexité du nouveau mécanisme interroge, l’UFE posant par exemple la question de la pertinence du principe de corridor de prix par rapport à un niveau fixe dans sa réponse à la consultation publique de la CRE. Une alternative à la refonte du mécanisme de régulatoire pourrait donc se dégager, consistant à prolonger finalement le dispositif actuel au travers d’une revalorisation du prix de l’ARENH en contrepartie de la hausse de volume de l’ARENH à 150 TWh préconisée par la CRE.

Les négociations, liant évolution de la régulation nucléaire et organisation du Groupe EDF, se poursuivent et l’issue reste à confirmer. Pour autant une échéance reste inchangée : la fin de l’ARENH dans son dispositif actuel au 31 décembre 2025, qui nécessite une prise de décision prochaine, au risque de faire entrer le calendrier de réorganisation en collision avec une autre échéance, l’élection présidentielle de 2022. Affaire à suivre.


[1] Le rapport Folz (Octobre 2019) met en lumière les différentes causes des retards successifs et dérapages de coûts dans le cadre de la construction de l’EPR de Flamanville 3. Sont entre autres cités une gouvernance projet inappropriée, l’organisation complexe des ressources d’ingénierie, une perte de compétences ou encore des relations insatisfaisantes entre parties prenantes.

[2] Le rapport de la Cour des Comptes (Juillet 2020) sur la filière EPR revient sur la construction de l’EPR de Flamanville 3 en mettant en évidence les échecs opérationnels, les dérives budgétaires et les retards. La Cour juge que tout projet de nouveaux EPR est conditionné par la clarification des modes de financement et de la place du nucléaire dans le mix électrique français.